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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/914

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bleus les plus insoumis, les verts, les violets, les tons oranges les plus indomptés. Il y a du circassien dans cette coiffure hébraïque dont le turban vient de Turquie, dont les bijoux sont d’origine indienne. L’architecture est assyrienne et byzantine, les coussins et les meubles sont dans le goût de Tunis et des bazars d’Alger… On a accumulé dans cette toile les dépouilles éclatantes du monde entier. Ajoutez à cela que le sujet du drame semble dicté par Shakspeare, que l’infortunée Thamar, dans tout le désordre de la passion, se tord aux pieds de son frère Absalom, qui, la rage au cœur, atteste le ciel par le geste le plus énergique qu’il vengera l’honneur de sa sœur outragée… Eh bien ! chose étrange, l’ensemble est doux, fade et terne, sans ressort, comme décoloré et tout à fait dépourvu de véritable émotion et d’originalité. C’est ainsi que dans une assemblée politique les violences parlementaires, se déchaînant de tous les côtés à la fois, s’annulent mutuellement, et que les journées les plus orageuses sont précisément celles qui produisent les plus petits effets. Quoi qu’il en soit, une chose est remarquable dans ce tableau, c’est la trace persistante d’une éducation solide et sérieuse, c’est l’acquis d’un homme formé par l’étude des maîtres. Tous les nus y sont abordés franchement, sans la moindre intention d’en dissimulée les difficultés sous les séductions de la facture. Cela est net, bien construit, dessiné sans faiblesse et sans détour, bien que le puissant thorax d’Absalom soit d’une largeur exagérée, étant donné que la partie droite cachée sous la draperie est égale à la partie gauche qui se laisse voir tout entière.

Le talent de M. Carolus Duran a l’éclat retentissant de la trompette, il en a aussi le registre peu étendu, le manque de souplesse et l’horreur des nuances. Ce peintre excelle aux fanfares, aux appels vigoureux et hardis, qui lui constituent une spécialité dont le public sympathique qui l’entoure voudrait le voir sortir. M. Carolus Duran est tout en façade, ses séductions sont toutes extérieures ; il vous attire, ne vous retient pas, et il a tout dit lorsqu’il vous a appelé. Le ciel, qui fut sévère en lui refusant bien des choses, l’a sous d’autres rapports doté royalement. A regarder isolément certains morceaux de sa peinture, enlevés avec une aisance et une sûreté merveilleuses, on se dit : Voilà qui est d’un maître ; on est ébloui par ses ramages osés et harmonieux, par l’éclat de ses velours et de ses satins.

Le portrait d’enfant qu’il expose cette année mérite d’être admiré autant que critiqué : la jupe violacée et le pardessus gris sont d’une facture et d’une couleur vraiment fort belles ; la tête plate et par trop simple de modelé ressemble à une aquarelle. Lorsque Deveria s’abandonnait à sa facilité, il peignait ainsi ses têtes. La draperie rose qui occupe tout le fond est d’une tonalité voyante et