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pénible pour certains yeux. Quoi qu’il en soit, c’est là un bon portrait et qui paraît d’autant meilleur que le tableau voisin laisse plus à désirer.

Dans ce second tableau, M. Duran a eu l’intention de se mesurer avec les difficultés de la composition ; ce n’est plus une suite de notes qu’il a voulu émettre, c’est une mélodie qu’il a voulu jouer. Il n’a pas réussi complètement. Cinq ou six jeunes femmes absolument nues sont déposées dans un parc que sillonne une petite rivière d’aspect glacial. L’étrangeté de cette situation explique assez leur gêne évidente. Il y a une intention manifeste d’idéalisation en même temps qu’une gaucherie surprenante. Les maîtres du XVIIIe siècle, ces grands faiseurs de baigneuses, ont été feuilletés soigneusement, on croit même reconnaître certaines de leurs poses préférées ; mais ce qu’on ne retrouve pas, c’est leur aisance, leur fécondité d’arrangement, c’est leur science de composition, c’est la sûreté de leur dessin facile et vivant, c’est surtout l’harmonie entre les personnages et le paysage qui les entoure. Les baigneuses du XVIIIe siècle ont la grâce et l’aisance de leur nudité ; ce sont des nymphes flânant dans quelque bosquet de l’olympe. Les baigneuses de M. Duran sont des femmes sans vêtemens qui profitent indiscrètement d’une heure où le bois est solitaire. Quant au paysage proprement dit, il est, quoique d’une coloration aimable, tout à fait vide et sans profondeur ; ce n’est qu’une mince décoration dont l’inexpérience est encore accentuée par des violences de brosse que l’on pourrait prendre pour les aveux d’un grand embarras, visible d’ailleurs, et les indices d’une extrême timidité.

La Folie de Hugues van der Goes est un tableau d’assez grande dimension et matériellement excellent, solide, largement peint et bien composé. Assurément M. Wauters possède son métier d’une façon supérieure, et l’on se demande pourquoi cette toile qui lui fait honneur ne cause pas une plus vive impression. Peut-être cela tient-il à ce que M. Wauters n’a vu dans son sujet qu’une occasion d’exécuter une suite de bons morceaux reliés ensemble fort habilement, et qu’il a oublié de souffler une âme dans son œuvre, ce qui d’ailleurs n’était pas aisé : Le peintre Van der Goes, atteint d’une maladie mentale, est ramené au refuge de Bruxelles, où l’on tente sur lui l’effet de la musique. Imaginez que nous assistions dans la nature à une expérience semblable ; il est certain que toutes les oreilles seront ouvertes pour saisir le son des instrumens, des voix, tandis que les yeux seront fixés sur le visage du malade, où nous voudrons lire l’effet de la musique. Tout l’intérêt de la scène sera donc dans la sensation que nous cause cette musique, à nous spectateurs, puis dans l’émotion qu’en ressentira le malade et que nous voudrons comparer à la nôtre ; mais admettez que nous soyons sourds,