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à lutter contre son extrême facilité, s’il est jeune, ce qui me paraît évident, s’il aime assez l’art pour s’imposer un rude labeur sans profit immédiat, on peut lui prédire hardiment un bel avenir.

La Saint-Jean que M. Jules Breton expose cette année me paraît supérieure à ses derniers tableaux. Par un effet crépusculaire, sous un ciel où commence à paraître le croissant de la lune, une bande de grosses filles dansent joyeusement autour d’un grand feu qui, chose assez singulière, ne les éclaire pas. La coloration est harmonieuse, certains morceaux sont d’une extrême vérité de ton, et enfin une aimable nuance de mélancolie rustique donne du charme à cet ensemble, qui paraît séduire beaucoup le public. A tort ou à raison les tableaux de M. Breton ne nous ont jamais ému profondément, et celui-ci n’a pas sur nous beaucoup plus de prise que les autres. Il y a là un mélange de réalisme convaincu et de poésie qui met mal à l’aise, cet effet crépusculaire toucherait sans doute sans ces vilains pieds crottés et grossièrement dessinés, sans ces jambes empâtées avec tendresse, ces jupes malpropres et informes. Il est bien certain que dans la nature les vendangeuses, les blanchisseuses et les filles de ferme n’ont pas des pieds de duchesse ; aussi n’en voudrais-je pas à M. Breton s’il se contentait d’être vrai et restait ce que Dieu l’a fait, c’est-à-dire le réaliste à tous crins, l’auteur convaincu de cette fameuse procession dans les blés que beaucoup de gens ne prirent pas au sérieux, et qui était la réalité elle-même, vue par un œil implacable, sans illusion et particulièrement porté à l’examen des durillons et des callosités.

L’Excommunication de Robert le Pieux, par M. Paul Laurens, est d’une mise en scène un peu cherchée, extrêmement ingénieuse, et qui rappelle les spirituelles combinaisons dont M. Gérome a usé avec tant de bonheur. La cérémonie de l’excommunication a eu lieu avant notre arrivée ; les derniers évêques s’éloignent dans le fond, le roi et la reine restent seuls dans cette grande salle vide, en face d’un cierge renversé et fumant encore, assis sur leur trône et plongés dans un accablement qui nous fait deviner combien fut terrible et solennelle cette scène que nous avons manquée. C’est ajouter le talent du romancier à celui du peintre et spéculer habilement sur notre curiosité de spectateurs arrivés trop tard. À cette façon anecdotique et piquante de traiter l’histoire, l’effet dramatique gagne en intensif ce qu’il perd en noblesse, et se fait un public plus nombreux. L’Interdit n’est pas moins saisissant. Ces cadavres abandonnés, cette porte d’église que rend inaccessible un amas de branches et de poutres surmontées d’une draperie noire, sont un décor qui frappe étrangement l’imagination. Tout en rendant pleine justice au sentiment littéraire et scénique contenu dans ces deux