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d’obstacle au mois d’août, c’est-à-dire dans la saison relativement froide, qui est en même temps la saison sèche en ces latitudes. De petites collines qui s’avancent jusqu’à la rive annoncent à l’est le voisinage de la Serra da Paca Nova, dont le prolongement forme la ligne de partage des eaux des deux vastes bassins de l’Amazone et de la Plata. Parmi les rapides suivans, le plus important est celui de Bananeiras, dont la chute principale n’a pas moins de 6 mètres de hauteur. Le lit du fleuve y est divisé par un chaos de récifs en une infinité de bras étroits et peu profonds où les vagues se poussent et se bousculent avec d’effroyables bouillonnemens ; la cargaison et les canots sont obligés encore une fois de se frayer un chemin, sur une longueur de plus de 500 mètres, par le fourré de la forêt vierge. Ici du moins une pensée console et rafraîchit le voyageur exténué, c’est que ce dur labeur n’aura plus besoin d’être renouvelé : Bananeiras est la dernière grande cataracte du Madeira. Il ne reste plus en amont que deux petits rapides que l’on peut franchir aisément, le premier en débardant, le second, canots chargés, au halage. C’est au-dessus de ces deux obstacles que se trouve le point désigné pour la tête de ligne supérieure du chemin de fer. À partir de cet endroit, le fleuve recommence à couler paisible et uni comme un lac. Avec une largeur de 250 à 300 mètres, une profondeur de 1 mètre 1/2 et une vitesse qui n’est que de 30 à 40 centimètres par seconde, il est merveilleusement propre à porter des bateaux à vapeur dont le tirant n’excède pas 1 mètre. Une quarantaine de lieues plus loin se trouve l’embouchure du Mamoré, dont le cours ne présente qu’un petit rapide insignifiant, causé par un banc transversal de pedra canga poreuse, et qui se peut remonter même à la voile ; si l’on pousse encore à 200 ou 300 kilomètres plus avant vers le sud, on arrive aux anciennes missions des jésuites, les pueblos de San-Joachim sur le Machupo, d’Exaltacion et de Trinidad sur le Mamoré. La végétation, quand on a quitté la région des cataractes pour se rapprocher des campos de la Bolivie, perd singulièrement de sa splendeur ; aux gigantesques forêts d’aval succède une herbe drue mélangée d’arbrisseaux et de broussailles ; à peine si çà et là quelques palmiers reflètent dans l’eau leur tige élancée. C’est le domaine inexploré des Indiens sauvages, le champ de course infini des émas (autruches d’Amérique) et des grands cerfs, le rendez-vous des plus riches troupeaux de bêtes à cornes qu’il y ait au monde.

En résumé, de l’embouchure du Madeira à Trinidad sur le Mamoré, il y a près de 500 lieues. Les altitudes au-dessus du niveau de la mer varient assez sensiblement : Serpa, sur l’Amazone, est à 18 mètres, le rapide de Santo-Antonio à 61 mètres, la chute de Theotonio à 83 ; on monte de 39 mètres encore jusqu’au confluent