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naturellement les peintres de nature morte et les peintres d’animaux. Allons donc tout droit au Fromage de M. Rousseau qui est le plus séduisant du monde, solide, épais, grassement peint et d’une harmonie délicieuse. Que cela ressemble beaucoup à un Chardin, c’est possible, mais je suis trop charmé pour m’en plaindre. Le Cochon de M. Vollon est une pochade chaudement enlevée, mais véritablement bien peu faite pour aller ainsi dans le monde. Le grand tableau des Armures est au contraire en grand costume, paré, poli et le sourire aux lèvres. Si attrayant qu’il soit par sa coloration fine et harmonieuse, par sa délicate et spirituelle facture, je lui trouve quelque chose d’un peu décousu : il y a des parties fluides et abandonnées, à côté d’autres morceaux où la richesse du travail est prodigieuse. Si l’on s’approche, on aperçoit toute une combinaison de grattages de glacis, d’égratignages. C’est travailler le fer en bijoutier, et merveilleusement, ma foi ! Le personnage qui se faufile dans le coin s’évanouirait d’un souffle, et peut-être souhaiterait-on qu’il fît un peu de vent.

La toile de M. Leclaire, où figure son joli chien, est particulièrement bonne, d’une peinture agréable, brillante et consciencieuse. Moins séduisans, moins coquets de ton, exécutés en décoration, les deux Chiens de Vendée de M. Hermann sont d’une facture solide, ferme et bien portante. Un sourire en passant au chaudron de M. Servin, et arrivons devant les bons et beaux Bœufs de M. Van Marcke. Ses trois toiles ont un éclat et une vigueur dont les voisins doivent se plaindre. Cela est savoureux, large et chaud à l’œil, comme un bon vin l’est à l’estomac. On ne saurait dire que l’exécution est trop sûre, mais on peut reprocher à la brosse un peu de lourdeur, un excès de franchise dans les fonds en particulier. M. Van Marcke a la mémoire si bien meublée et une palette si riche qu’il n’éprouve pas le besoin d’aller chercher au loin de nouvelles impressions. Il vit noblement sur son fonds, mais peut-être une nuance de curiosité, d’inquiétude, lui vaudrait-elle, tout en troublant sa sécurité, quelques notes plus fines, quelques nuances qu’il n’a pas.

Les tableaux de M. Eugène Lambert n’ont rien perdu de leur piquant ; c’est toujours la même observation délicate et malicieuse. J’y trouve en plus des qualités spéciales et sérieuses, une exécution sobre et sûre, de la conscience et de l’étude, qui donnent à ses jolis tableaux une valeur particulière qu’ils n’ont pas toujours eue à un égal degré. La peinture de M. Jules Didier est comme endormie, ou du moins elle a sommeil. Douce, juste, correcte dans des limites fort honorables, il lui manque l’entrain, le ressort, l’expression vive.