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là en effet un morceau complet, achevé et d’un charme irrésistible. Vous trouverez ailleurs, dans le Christ de M. Thomas par exemple, une science et une étude plus apparentes ; mais cette figure de la jeunesse est absolument la seule qui exhale ce parfum difficile à définir, et pourtant si particulier et si franc, que l’on rencontre seulement dans les productions irréprochables, à-quelque époque qu’elles appartiennent. Dans cette œuvre, ce n’est pas un morceau d’une beauté exceptionnelle qui attire les regards, ce n’est point une qualité dominante qui éclate et vous arrache un cri d’admiration ; c’est au contraire un ensemble harmonieux et parfait devant lequel on éprouve une sorte d’apaisement, une satisfaction calme, entière et de plus en plus profonde. On sent que pas une arrière-pensée ne viendra vous troubler ; on s’abandonne, et vraiment c’est une délicieuse chose que de sentir l’émotion pénétrer en soi lentement, sûrement, sans fracas ni violence. Ce que j’admire surtout, c’est le caractère original de cette sculpture, qui, sans s’abaisser, sans rien perdre de sa dignité et du respect du passé dont elle émane, est cependant de son époque et nous offre l’idéal de notre art statuaire, de celui que nous pouvons comprendre et goûter. Ce n’est pas un pastiche laborieux des austères beautés de l’antique, ce n’est pas non plus une imitation des élégances de la renaissance ou des richesses décoratives des XVIIe et XVIIIe siècles ; ce n’est rien de tout cela, et cependant il est évident que, si un Chapu n’avait pas étudié, compris et admiré tous les chefs-d’œuvre d’autrefois, s’il ne s’en était pas nourri, s’il n’avait pas reçu la solide éducation qu’il possède, il eût été incapable de faire sa figure. Qu’on vienne donc nous dire que le respect du classique et le lent apprentissage de l’école étouffent l’originalité, alors qu’ils sont tout au contraire non pas le germe, mais l’aliment et la sauvegarde de toute personnalité sérieuse !

Nous ne voyons l’antique qu’à travers les glaciales productions de David ; mais serait-il donc bien audacieux de constater que le correct et intolérant David n’a jamais compris l’antiquité, qu’il n’en a vu que la façade et ne s’en est approprié que la défroque ? Jean Goujon, Puget, Coysevox, Lebrun lui-même, étaient plus près de l’antiquité que David ne le fut jamais ; ils l’aimaient d’un amour plus vrai, ils s’en assimilaient l’esprit au lieu d’en copier les procédés et d’en numéroter les formules. Ils allaient à Rome et en Grèce apprendre la liberté et l’aisance qui sont l’âme des chefs-d’œuvre ; ils allaient y puiser l’amour de l’art, le goût du grand, sans songer un instant à populariser dans la France moderne la reproduction laborieusement exacte des œuvres goûtées sous Périclès. Faut-il accuser l’antiquité de l’erreur considérable où est tombé