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claires, des sentimens, des émotions, où son cœur autant que son esprit le porte sans cesse. Il faut faire connaître ces coups d’aile par lesquels il s’y maintient. Il faut comprendre que son élément c’est la lumière, que son moyen d’exaltation c’est sa palette, son but la clarté et l’évidence des choses. Il ne suffit pas de regarder des tableaux de Rubens en dilettante, d’en avoir l’esprit choqué, les yeux charmés. Il y a quelque chose de plus à considérer et à dire. Le musée de Bruxelles est une entrée en matière. Songez qu’il nous reste Malines et Anvers.


IV

Malines est une grande ville triste, vide, éteinte, ensevelie à l’ombre de ses basiliques et de ses couvens dans un silence d’où rien ne parvient à la tirer, ni son industrie, ni la politique, ni les controverses qui s’y donnent quelquefois rendez-vous. On y fait en ce moment des processions avec cavalcades, congrégations, corporations et bannières à l’occasion du jubilé centenaire. Tout ce bruit la ranime un jour. Le lendemain, le sommeil de la province a repris son cours. Il y a peu de mouvement dans ses rues, un grand désert sur ses places, beaucoup de mausolées de marbres noirs et blancs et de statues d’évêques dans ses églises, — autour de ses églises, la petite herbe des solitudes qui pousse entre les pavés. Bref, de cette ville métropolitaine, il n’y a que deux choses qui survivent à sa splendeur passée, des sanctuaires extrêmement riches et les tableaux de Rubens. Ces tableaux sont le célèbre triptyque des Mages, de Saint-Jean, le triptyque non moins célèbre de la Pêche miraculeuse, qui appartient à l’église Notre-Dame.

L’Adoration des Mages est, je vous en ai prévenu, une troisième version des Mages du Louvre et des Mages de Bruxelles. Les élémens sont les mêmes, les personnages principaux textuellement les mêmes, à part un changement d’âge insignifiant dans les têtes et des transpositions également fort peu notables. Rubens n’a pas fait grand effort pour renouveler l’idée première. A l’exemple des meilleurs maîtres, il avait le bon esprit de vivre beaucoup sur lui-même, et, lorsque la donnée lui paraissait fertile en variations, de tourner autour dans les redites. Ce thème des mages venus des quatre coins du monde pour adorer un petit enfant sans gîte, né par hasard, une nuit d’hiver, sous le hangar d’une étable indigente et perdue, était de ceux qui plaisaient à Rubens par la pompe et les contrastes. Il est intéressant de suivre le développement de l’idée première à mesure qu’il l’essaie, l’enrichit, la complète et la fixe. Après le tableau de Bruxelles qui avait de quoi le satisfaire, il lui