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immaculée, y met la main et la montre à celui qu’elle a nourri. L’apostrophe est irrésistible. On peut tout critiquer dans ce tableau de pure passion et de premier jet comme pratique, le Christ, qui n’est que ridicule, le saint François qui n’est qu’un moine épouvanté, la Vierge qui ressemble à une Hécube sous les traits d’Hélène Fourment ; son geste même n’est pas sans témérité, si l’on songe au goût de Raphaël ou même au goût de Racine. Il n’en est pas moins vrai que ni au théâtre, ni à la tribune, et l’on se souvient de l’un et de l’autre devant ce tableau, ni dans la peinture, qui est après tout son vrai domaine, je ne crois pas qu’on ait trouvé beaucoup d’effets pathétiques de cette nouveauté et de cette vigueur.

Je néglige, et Rubens n’y perdra rien, l’Assomption de la Vierge, un tableau sans âme, et Vénus dans la forge de Vulcain, une toile un peu trop voisine de Jordaens. Je néglige également les portraits, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir. Cinq tableaux sur sept donnent, vous le voyez, une première idée de Rubens qui n’est pas sans intérêt. A supposer qu’on ne le connût pas, ou qu’on le connût seulement par la galerie des Médicis du Louvre, et l’exemple serait bien mal choisi, on commencerait à l’entrevoir tel qu’il est, dans son esprit, dans son métier, dans ses imperfections et dans sa puissance. Dès aujourd’hui on pourrait conclure qu’il ne faut jamais le comparer aux Italiens, sous peine de le méconnaître et vraiment de le mal juger. Si l’on entend par style l’idéal de ce qui est pur et beau transcrit en formules, il n’a pas d’idéal. Si l’on entend par grandeur la hauteur, la pénétration, la force méditative et intuitive d’un grand penseur, il n’a ni grandeur ni pensée. Si l’on s’arrête au goût, le goût lui manque. Si l’on aime un art contenu, concentré, condensé, celui de Léonard par exemple, celui-là ne peut que vous irriter par ses dilatations habituelles et vous déplaire. Si l’on rapporte tous les types humains à ceux de la Vierge de Dresde ou de la Joconde, à ceux de Bellin, de Pérugin, de Luini, des fins définisseurs de la grâce et du beau dans la femme, on n’aura plus aucune indulgence pour la plantureuse beauté et les charmes gras d’Hélène Fourment. Enfin, si, se rapprochant de plus en plus du mode sculptural, on demandait aux tableaux de Rubens la concision, la tenue rigide, la gravité paisible qu’avait la peinture à ses débuts, il ne resterait pas grand’chose de Rubens, sinon un gesticulateur, un homme tout en force, une sorte d’athlète imposant, de peu de culture, de mauvais exemple, et dans ce cas, comme on l’a dit, on le salue quand on passe, mais on ne regarde pas.

Il s’agit donc de trouver, en dehors de toute comparaison, un milieu à part pour y placer cette gloire, qui est une si légitime gloire. Il faut trouver dans le monde du vrai celui qu’il parcourt en maître, et dans le monde aussi de l’idéal cette région des idées