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est loin de la pure méthode archaïque, il est encore plus loin des pratiques en faveur depuis Géricault, pour prendre un exemple récent chez un mort illustre. La brosse glisse et ne s’engloutit pas ; jamais elle ne traîne après elle ce gluant mortier qui s’accumule au point saillant des objets, et fait croire à beaucoup de relief, parce que la toile elle-même en devient plus saillante. Il ne charge pas, il peint ; il ne bâtit pas, il écrit ; il caresse, effleure, appuie. Il passe d’un enduit immense au trait le plus délié, le plus fluide, et tout cela avec ce degré de consistance ou de légèreté, cette ampleur ou cette finesse qui conviennent au morceau qu’il traite, — de telle sorte que la prodigalité et l’économie des pâtes sont affaire de convenance locale, que le poids et l’extraordinaire légèreté de sa brosse sont aussi des moyens d’exprimer plus justement ce qui demande ou non qu’on y insiste.

Aujourd’hui que diverses écoles se partagent notre école française, et qu’à vrai dire il n’y a que des talens plus ou moins aventureux sans doctrines fixes, le prix d’une peinture bien ou mal exécutée est fort peu remarqué. Une foule de questions subtiles font oublier les élémens d’expression les plus nécessaires. A bien regarder certains tableaux contemporains, et dont le mérite au moins comme tentative est souvent plus réel qu’on ne le croit, on s’aperçoit que la main n’est plus comptée pour rien parmi les agens dont l’esprit se sert. D’après de récentes méthodes, exécuter c’est remplir une forme d’un ton, quel que soit l’outil qui dirige ce travail. Le mécanisme de l’opération semble indifférent, pourvu que l’opération réussisse, et l’on suppose à tort que la pensée peut être tout aussi bien servie par un instrument que par un autre. C’est précisément à ce contresens que tous les peintres habiles, c’est-à-dire sensibles, de ce pays des Flandres et de la Hollande ont répondu d’avance par leur métier, le plus expressif de tous. Et c’est contre la même erreur que Rubens proteste avec une autorité qui cependant aurait quelque chance de plus d’être écoutée. Enlevez des tableaux de Rubens, ôtez à celui que j’étudie, l’esprit, la variété, la propriété de chaque touche, vous lui ôtez un mot qui porte, un accent nécessaire, un trait physionomique, vous lui enlevez peut-être le seul élément qui spiritualise tant de matière, et transfigure de si fréquentes laideurs, parce que vous y supprimez toute sensibilité, et que, remontant des effets à la cause première, vous tuez la vie, vous en faites un tableau sans âme. Je dirai presque qu’une touche en moins fait disparaître un trait de l’artiste.

La rigueur de ce principe est telle que dans un certain ordre de productions il n’y a pas d’œuvre bien ressentie qui ne soit naturellement bien peinte, et que toute œuvre où la main se manifeste avec