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fût aussi absolue à cette époque qu’elle devait l’être au temps de Louis XIV. La royauté ne passait pas sur la tête du fils par le seul fait de la mort du père. Un acte de grande importance était jugé nécessaire ; il fallait qu’une cérémonie publique et solennelle marquât aux yeux de tous que l’obéissance des hommes se transportait du prince mort au prince vivant. Cette règle, dont on peut suivre l’application sous tous les Mérovingiens, se continua après eux. Voici comment l’annaliste raconte l’avènement de Charlemagne : « Pépin ayant été enseveli, les rois Charles et Carloman, chacun avec ses leudes, se rendirent dans les villes qui étaient le siège de leur royauté, Charles à Noyon, Carloman à Soissons ; là, ayant réuni leurs grands, chacun d’eux fut placé sur le trône. » Ce n’est pas là le récit d’une élection ; il s’en faut de tout que nous ayons sous les yeux une assemblée nationale qui délibère et qui choisisse un roi. Il n’y a là qu’une cérémonie d’inauguration dans laquelle les principaux personnages du royaume déclarent qu’ils acceptent l’autorité des nouveaux princes. Eginhard parle également de ces deux assemblées ; mais il est remarquable qu’il ne les mentionne qu’après avoir dit que Charles et Carloman étaient déjà rois par la volonté divine. On peut faire la même observation au sujet des nombreux récits qui nous sont parvenus de l’avènement de Louis le Débonnaire. On n’y trouvera pas l’indice d’une assemblée nationale qui ait élu le roi ; mais on y trouvera toujours une réunion de grands qui volontairement et librement ont fait acte d’obéissance au roi. « Louis succéda à son père par la volonté de Dieu, » dit Eginhard, et aussi, dit-il encore, « avec l’assentiment et aux acclamations de tous. »

Il y aurait donc une égale erreur à se figurer une hérédité aussi rigoureusement établie qu’elle le fut au XVIIe siècle, ou à se représenter une élection comme celle des anciens comices de la Grèce et de Rome. Ni Charlemagne, ni Louis le Débonnaire, ni Charles le Chauve, ne furent des rois élus. Ils régnèrent par droit de naissance ; mais ils furent en même temps des rois acceptés. La royauté passait du père au fils comme un patrimoine ; il fallait seulement obtenir à chaque nouveau règne une déclaration publique d’assentiment et de soumission. La dignité de roi était héréditaire de plein droit, l’obéissance ne l’était pas aussi complètement ; mais il est clair que la première devait entraîner la seconde, aussi longtemps du moins que la royauté serait la plus forte.

Il faut d’ailleurs observer que l’assemblée qui reconnaissait. chaque nouveau roi n’était pas la réunion de tous les hommes libres du pays ; c’était seulement la réunion de ceux qu’on appelait les grands. On comprenait sous ce nom les ducs, les comtes, les évêques et les abbés. Or les ducs et les comtes étaient alors des fonctionnaires royaux, ainsi que nous le verrons plus loin ; les évêques et