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les abbés de monastères étaient nommés par le roi et lui prêtaient serment de fidélité ; à eux s’ajoutaient les grands bénéficiaires, qui tenaient les terres du roi, et à qui le roi pouvait encore les reprendre. Tous ces hommes étaient ses « leudes, » ses « fidèles, » c’est-à-dire ce qu’il y avait de plus dépendant et de plus étroitement sujet. Ils étaient tous, par leurs fonctions, par leurs bénéfices, même par leurs dignités ecclésiastiques, dans la main du roi. Leur réunion était précisément l’opposé de ce que serait une assemblée nationale et souveraine. Aussi ni Charlemagne, ni Louis le Débonnaire, ni Charles le Chauve n’éprouvèrent-ils aucune difficulté à obtenir cette déclaration publique d’obéissance qui était nécessaire à chaque nouveau roi. La difficulté ne devait surgir que le jour où les grands auraient cessé d’être les plus dociles des sujets.


II. — DE LA DIGNITE IMPERIALE.

Il faut toujours se garder de juger les événemens anciens d’après notre manière de penser et nos habitudes d’esprit d’aujourd’hui. Le couronnement de Charlemagne comme empereur a donné lieu à beaucoup de dissertations et de théories dans lesquelles l’esprit de parti et les idées préconçues ont eu une grande part. Pour les uns, cet acte marque la victoire définitive de la race germanique sur les races gallo-romaines ; c’est la fin de l’ancien monde et l’avènement d’un monde nouveau. Pour d’autres, tout au contraire ce serait l’esprit romain qui, par la main du pape, aurait ressaisi pour quelque temps la victoire et dompté le germanisme dans son triomphe même. Toutes ces généralités sont également inexactes, elles ne s’appuient sur aucune preuve ; ni les textes ni les faits ne les confirment. Elles sont le fruit d’une manière de penser qui est moderne, et ne répondent nullement au tour d’esprit des hommes du IXe siècle. Aussi n’en trouve-t-on la trace ni dans les écrits de Charlemagne, ni dans ceux des papes, ni chez les chroniqueurs, ni parmi tant de lettres qui nous ont été conservées des personnages de cette époque. Il est prudent, en histoire, de se tenir aux documens, et, sans se laisser aller aux considérations générales, de voir les événemens comme ils nous sont racontés et d’essayer de les comprendre comme les contemporains les ont compris.

Le couronnement de Charlemagne n’est pas un acte isolé ; il se rattache à une série de faits antérieurs qui l’ont amené et préparé. Quand on lit les textes de l’époque mérovingienne, on est frappé de voir combien le souvenir de l’empire romain s’était conservé chez les populations. On le rencontre partout, dans les édits des rois comme dans les formules des actes privés, dans les lettres de personnages de toute condition aussi bien que dans les chroniques. On