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LE PREMIER AMOUR
D’EUGÈNE PICKERING


UNE FEMME PHILOSOPHE.

I.

C’était à Hombourg il y a quelques années. Je venais d’entrer dans le Kursaal, et je rôdai d’abord en curieux autour de la table où l’on jouait à la roulette. Peu à peu je parvins à me glisser à travers le cercle extérieur. À peine l’eus-je franchi que j’aperçus un jeune homme dont le visage me frappa. Où donc avais-je vu ce front large, ces yeux bleus, ce long cou, cette chevelure bouclée ? Évidemment je connaissais un visage frère de celui-là ; mais ma mémoire ne me rappelait aucun souvenir plus précis. L’inconnu, dont les traits respiraient la franchise et la bonté, suivait les péripéties du jeu avec un intérêt qu’il ne cherchait pas à cacher, et son étonnement naïf formait un agréable contraste avec le masque dur et impassible des gens qui l’entouraient. On devinait qu’il subissait pour la première fois une tentation à laquelle la timidité l’empêchait de céder. Tout en se laissant fasciner par le feu croisé des gains et des pertes, il remuait des pièces d’or dans une de ses poches, puis retirait sa main pour la passer sur son front avec un geste nerveux.

La plupart des spectateurs s’occupaient trop du jeu pour prêter beaucoup d’attention à leurs voisins. Je remarquai néanmoins, assise entre mon inconnu et moi, une dame qui paraissait moins