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sitôt d’un volume consacré à l’Afrique équatoriale, de simples touristes commencent pourtant à s’aventurer dans ces régions jadis si mystérieuses, et reviennent tout étonnés de la sécurité relative avec laquelle ils ont fait leur route à travers les domaines des rois noirs. Ne dirait-on pas qu’avec la facilité des transports, qui a répandu le goût des longs voyages, l’initiative et l’audace des hommes se soient développées, et qu’une promenade en pays sauvage ne soit plus considérée comme une entreprise plus extraordinaire ni plus dangereuse qu’une partie de chasse à l’ours ou de pêche à la baleine ? Un reporter du New-York-Herald n’hésite pas à se lancer sur les traces de Livingstone perdu quelque part dans la région des grands lacs ; il le retrouve, rapporte des lettres et d’autres papiers précieux adressés à la famille de l’illustre explorateur, puis, après la mort de ce dernier, retourne en Afrique et reprend pour son compte l’œuvre inachevée de l’émule des Mungo Park. Voici aujourd’hui un chasseur brêmois qui s’en va pousser une pointe dans l’intérieur du vieux continent en partant du Cap, et poursuivre l’hippopotame, l’antilope et le buffle jusqu’aux chutes du Zambèse, par 18 degrés de latitude australe. Son voyage n’est pourtant pas resté une simple partie de plaisir : ancien élève de l’école navale de Brème, il sait faire le point, mesurer sa latitude et sa longitude et déterminer la variation du compas. Ce n’est pas tout ; il a pris avec lui un ami expert dans l’art d’interroger le sol et d’analyser les roches. La relation de son voyage s’est ainsi enrichie de quelques données qui ne sont pas sans utilité. Résumer cette relation, qui vient de paraître en deux forts volumes, nous conduirait trop loin : du moins tâcherons-nous d’y cueillir quelques détails intéressans.

Quand M. Édouard Mohr s’embarqua, au mois de décembre 1868, à bord d’un steamer anglais en partance pour le Cap, il n’allait pas tout à fait affronter l’inconnu. Déjà, trois ans auparavant, il avait parcouru en tout sens, la carabine sur l’épaule, le pays des Zoulous, et aux bords du Weser le souvenir des plaines giboyeuses de la baie de Lucia et du Transvaal était venu hanter ses nuits. L’Afrique australe est le paradis du chasseur. Si, à latitude égale, la flore de ce continent paraît pauvre, comparée à celle de l’Amérique méridionale, sous le rapport de la faune l’avantage reste au continent africain. Sans parler des formes monstrueuses qu’il héberge encore, derniers restes d’un autre âge, — l’éléphant, l’hippopotame, le rhinocéros, — un des genres les plus splendides, l’antilope, y est représenté par huit fois plus d’espèces que n’en renferment les autres continens réunis. Des plaines herbeuses où paissent d’innombrables troupeaux de gnous, des plateaux où les bouquetins, les kolates et les koudous prennent leurs ébats, des forêts remplies de buffles, d’éléphans et d’oiseaux de toute sorte, offrent au chasseur un butin pour ainsi dire illimité.

C’est le 28 janvier 1869 que le bateau à vapeur qui portait M. Mohr