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sortie tout aussi plaisante. C’était une belle nuit claire, la lune et Jupiter brillaient à l’horizon dans des positions favorables à la mesure des distances, et M. Mohr profitait de l’occasion pour déterminer avec M. Hübner la longitude de leur campement. Ziesmann, qui était assis sous la tente, suivait leurs manipulations d’un œil attentif, tout en causant à voix basse avec un autre chasseur. A un moment donné, les images des deux astres étant rapprochées par les miroirs du sextant de manière que la planète touchait le bord du disque lunaire, M. Mohr appela le vieux routier et lui fit mettre l’œil à l’oculaire de la lunette. Le brave homme devint muet de surprise, lorsqu’il vit qu’en faisant jouer la vis tangente M. Mohr faisait aller et venir la planète à son gré. Il retourna tout pensif sous la tente, puis bientôt après quitta la société. On sut alors qu’il avait été scandalisé de ce qu’on se permettait ainsi de « fouiller le ciel » d’un regard indiscret ; à de bons chrétiens il convenait, selon lui, d’attendre pour cela qu’ils fussent morts, car alors le bon Dieu leur ferait voir toutes ses merveilles lui-même. — C’est un fait bien connu qu’après un long séjour en pays sauvage, la superstition des indigènes finit par déteindre sur les Européens.

Le 20 juin 1870, à midi, la caravane atteignit les chutes du Zambèse, et le camp fut établi pour deux jours à huit cents pas au sud-de la cataracte, l’humidité du sol ne permettant pas d’en approcher davantage. Cette humidité, entretenue par la poussière d’eau toujours suspendue dans l’air, a fait lever tout autour des chutes une splendide végétation tropicale, la « forêt de la pluie, » où l’on rencontre à chaque pas la trace des fréquentes visites des éléphans. Le fleuve a ici une largeur d’environ 2 kilomètres ; les eaux se précipitent en mugissant d’une hauteur de 120 mètres, dans une gorge d’une largeur moyenne de 90 mètres seulement, qui ouvre un abîme béant au milieu du lit, et dans laquelle le flot bouillonnant poursuit sa route, encaissé entre deux murs à pic que les singes seuls parviennent à escalader. Au-dessus du gouffre, que le regard peut sonder du haut d’une pointe de rocher qui surplombe du côté de l’ouest, flotte un voile de nuages argentés que le vent déchire par places, et sur lequel se projette un double arc-en-ciel parfaitement circulaire. M. Charles Livingstone (le frère du grand voyageur), qui avait vu à la fois la chute du Niagara et celle du Zambèse, attribuait à celle-ci la palme de la beauté, et son jugement s’accorde avec celui d’un touriste qui a eu la même bonne fortune, le docteur Coverly, de Londres. Les observations astronomiques de M. Mohr ont donné pour la latitude de ce point 17° 55’ ; c’est à peu près le nombre trouvé par Livingstone ; mais la longitude observée par M. Mohr (26° 29’ à l’est de Greenwich) diffère beaucoup de celle de Livingstone ; elle place les chutes de 44’ plus vers l’est. « Ceux qui aiment à observer les astres, dit à cette occasion le voyageur brêmois, ne tarderont pas à s’apercevoir que sous le