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I

Entre les golfes de Salonique et de Contessa, la péninsule chalcique projette vers l’Archipel trois promontoires égaux, séparés par les baies profondes de Cassandra et de Monte-Santo. La plus orientale de ces langues de terre, celle que les anciens appelaient Acte, est une étroite arête de montagnes, longue d’environ 60 kilomètres, qui s’élève graduellement depuis l’isthme étranglé où elle prend naissance jusqu’au sommet de l’Athos, haut de 2,000 mètres. Ces cimes malaisées et les forêts impénétrables qui en couvrent les versans devinrent de très bonne heure pour l’ascétisme chrétien une seconde Thébaïde. Aux époques troublées du moyen âge oriental, la presqu’île offrait aux populations grecques d’Europe et d’Asie, lasses d’un état social intolérable, les séductions d’un climat heureux, d’une nature magnifique, d’une retraite isolée, forteresse naturelle à l’abri des invasions et des tyrannies qui désolaient le bas-empire. Dès le IXe siècle, les solitaires qui y affluaient isolément se groupent en communautés monacales, et constituent la république quasi-autonome qui fonctionne encore aujourd’hui. Non moins que la ferveur des premiers cénobites, les largesses et les privilèges octroyés au petit état par les empereurs byzantins, dont plusieurs y vinrent finir leurs jours, assurèrent à la montagne sainte une considération et une opulence croissantes : de là à la vénération religieuse, la transition était naturelle pour des populations orientales ; cette vénération et l’affluence des pèlerins qu’elle entraîne le cèdent à peine, même de nos jours, à l’attraction des lieux saints de Palestine.

Au Xe siècle, les bulles impériales attestent l’existence des plus anciens monastères, Lavra, Vatopédi, Iviron, Xéropotamo. Un peu plus tard, les princes slaves arrivent à l’Athos, et rivalisent de générosité avec les Comnène. Stéphan Némania, grand-joupan de Serbie, reconstruit le couvent serbe de Chilandari en 1197. Son fils Saba, l’une des figures légendaires de la vieille montagne byzantine, prend l’habit à Roussicon, et devient igoumène de Vatopédi. Les donations affluent avec ces illustres néophytes, la fortune monastique se traduit par des fondations nouvelles et des achats de terres au dehors, l’Athos ceint son front chenu d’une couronne d’églises et de couvens. La conquête latine suspend brusquement le cours de ces prospérités pendant la première moitié du XIIIe siècle : les compagnons de Baudouin refluent sur la Roumélie, en quête de fiefs ; un seigneur franc se bâtit un château-fort dans la montagne sainte, sans doute un de ces donjons à mine insolente qui se mirent encore au fil de l’eau sur les promontoires rocheux du versant