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persuasive, de sa clarté oratoire, de ce penchant aux apothéoses qui le font monter, de cette chaleur de cerveau qui le dilate au risque de le trop gonfler. Tout cela nous conduit à une définition plus complète encore, à un mot que je vais dire et qui dirait tout ; Rubens est un lyrique et le plus lyrique de tous les peintres. Sa promptitude imaginative, l’intensité de son style, son rhythme sonore et progressif la portée de ce rhythme, son trajet pour ainsi dire vertical, appelez tout cela du lyrisme, et vous ne serez pas loin de la vérité. Il y a en littérature un mode héroïque entre tous qu’on est convenu d’appeler l’ode. C’est, vous le savez, ce qu’il y a de plus agile et de plus étincelant dans les formes variées de la langue métrique. Il n’y a jamais ni trop d’ampleur ni trop d’élan dans le mouvement ascensionnel des strophes, ni trop de lumière à leur sommet. Eh bien ! je vous citerais telle peinture de Rubens conçue, conduite, scandée, éclairée, comme les plus fiers morceaux écrits dans la forme pindarique, La Mise en croix me fournirait le premier exemple, exemple d’autant plus frappant qu’ici tout est d’accord et que lie sujet valait d’être exprimé ainsi. Et je ne subtiliserais nullement en vous disant que cette page de pure expansion est écrite d’un bout à l’autre sur ce mode rhétoriquement appelé sublime, — depuis les lignes jaillissantes qui le traversent, l’idée qui s’éclaire à mesure qu’elle arrive à son sommet, jusqu’à l’inimitable tête de Christ, qui est la note culminante et expressive du poème, la note étincelante, au moins quant à l’idée contenue, c’est-à-dire la strophe suprême.


II

A peine a-t-on mis le pied dans le premier salon du musée d’Anvers que Rubens vous accueille ; à droite, une Adoration des mages, vaste tableau de sa manière expéditive et savante, peinte en treize jours, dit-on, vers 1624, c’est-à-dire en ses plus belles années moyennes ; à gauche, un grandissime tableau célèbre aussi, une Passion dite, le Coup de lame. On jette un coup d’œil sur la galerie qui fait face, et à droite, à gauche, on aperçoit de loin cette tache unique, forte et suave, onctueuse et chaude, — des Rubens et encore après des Rubens, On commence le catalogue en main. Admire-t-on toujours ? Pas toujours. Reste-t-on froid ? Presque jamais.

Je transcris mes notes : les Mages, quatrième version depuis Paris, cette fois avec des changement notables. Le tableau est moins scrupuleusement étudié que celui de Bruxelles, moins accompli comme ensemble que celui de Malines, mais d’une audace plus grande, d’une carrure, d’une ampleur, d’une certitude et d’un aplomb que le peintre a rarement dépassés dans ses œuvres calmes.