Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donner le prix de beauté, comme à la plus charmante déesse de cet olympe du Luxembourg, de cette incomparable Mlle du Vigean, l’idole de la société de Chantilly, qui inspira une si grande passion et tant de petits vers ? Voyez-vous mieux Mlle de La Vallière, Mmes de Montespan, de Fontanges, de Sévigné, de Grignan ? Et si vous ne les apercevez pas aussi bien qu’il vous plairait de les connaître, à qui la faute ? Est-ce la faute de cette époque d’apparat, de politesse, de mœurs officielles, pompeuses, guindées et froides ? Est-ce la faute des femmes elles-mêmes, qui toutes visaient un certain idéal de cour ? Les a-t-on mal observées, peintes sans scrupules ? Ou bien était-il convenu que, parmi tant de genres de grâce ou de beauté, il n’y en avait qu’un qui fût de bon ton, de bon goût, tout à fait selon l’étiquette ? On en est à ne pas trop savoir quel nez, quelle bouche, quel ovale, quel teint, quel regard, quel degré de sérieux ou de laisser-aller, de finesse ou d’embonpoint, quelle âme enfin, pour tout dire, on doit donner à chacune de ces célèbres personnes, tant elles sont devenues pareilles dans leur rôle imposant de favorites, de frondeuses, de princesses, de grandes dames. Vous savez ce qu’elles pensaient d’elles et comment elles se sont peintes, ou comment on les a peintes, suivant qu’il leur a convenu de faire elles-mêmes ou de laisser faire leurs portraits littéraires. Depuis la sœur de Condé jusqu’à Mme d’Epinay, c’est-à-dire à travers tout le XVIIe siècle et la grande moitié du XVIIIe siècle, ce n’était que beaux teints, jolies bouches, dents superbes, épaules, bras et gorges admirables. Elles se déshabillaient beaucoup ou souffraient qu’on les déshabillât beaucoup, sans nous montrer autre chose que des perfections un peu froides, moulées sur un type absolument beau, selon la mode et l’idéal du temps. Ni Mlle de Scudéry, ni Voiture, ni Chapelain, ni Desmarets, ni aucun des écrivains beaux esprits qui se sont occupés de leurs charmes, n’ont eu la pensée de nous laisser d’elles un portrait moins flatté peut-être, mais plus vrai. A peine aperçoit-on par-ci par-là, dans la galerie de l’hôtel de Rambouillet, un teint moins divin, des lèvres moins pures de trait, ou d’un incarnat moins parfait. Il a fallu le plus véridique et le plus grand des portraitistes de cette époque, Saint-Simon, pour nous apprendre qu’une femme pouvait être charmante sans être accomplie, et que la duchesse du Maine et la duchesse de Bourgogne par exemple avaient par la physionomie, la grâce toute naturelle et le feu, beaucoup d’attraits, l’une avec sa boiterie, l’autre avec son teint noiraud, sa taille exiguë, sa mine turbulente et ses dents perdues. Jusque-là, le ni trop ni trop peu dirigeait avant tout la main des faiseurs d’images. Je ne sais quoi d’imposant, de solennel, quelque chose comme les trois unités scéniques, la perfection d’une belle