et l’on y plaçait une des plus charmantes œuvres du maître, une œuvre faite tout entière, dit la tradition, avec les portraits des membres de sa famille, c’est-à-dire avec ses affections, ses amours mortes, ses amours vivantes, ses regrets, ses espérances, le passé, le présent, l’avenir de sa maison. Vous savez en effet qu’on attribue à tous les personnages qui composent cette soi-disant sainte famille des ressemblances historiques du plus grand prix. Il y aurait là l’une à côté de l’autre ses deux femmes, dont la belle Hélène Fourment, celle qui vivait alors, une enfant de seize ans quand il l’épousa en 1630, une toute jeune femme de vingt-six ans quand il mourut, blonde, grasse, aimable et douce, en grand déshabillé, nue jusqu’à la ceinture. Il y aurait aussi sa fille, — sa nièce, la célèbre personne au chapeau de paille, — son père en saint Jérôme, — son grand-père sous la figure du Temps, — enfin le plus jeune de ses fils sous les traits d’un ange, un jeune et délicieux bambin, le plus adorable enfant que peut-être il ait jamais peint. Quant à Rubens lui-même, il y figure dans une armure toute miroitante d’acier sombre et d’argent, tenant en main la bannière de saint George. Il est vieilli, amaigri, grisonnant, échevelé, un peu ravagé, mais superbe de feu intérieur. Sans nulle pose ni emphase, il a terrassé le dragon et posé dessus son pied chaussé de fer. Quel âge avait-il alors ? Si l’on se reporte à la date de son mariage, à l’âge de sa femme, à celui de l’enfant né de ce mariage, Rubens devait avoir cinquante-six ou cinquante-huit ans. Il y avait donc quarante ans à peu près que le combat brillant, impossible pour d’autres, facile pour lui, toujours heureux, qu’il soutenait contre la vie, avait commencé. De quelles entreprises, dans quel ordre d’activité, de lutte et de succès n’avait-il pas triomphé ? Si jamais à cette heure grave des retours sur soi-même, des années révolues, d’une carrière accomplie, à ce moment de certitude en toute chose, un homme eut le droit de se peindre en victorieux, c’est bien lui.
La pensée, vous le voyez, est des plus simples ; on n’a pas à la chercher bien loin. Si le tableau recèle une émotion, cette émotion se communique aisément à tout homme dont le cœur est un peu chaud, que la gloire émeut et qui se fait une seconde religion du souvenir de pareils hommes. Un jour, vers la fin de sa carrière, en pleine gloire, peut-être enfin en plein repos, sous un titre auguste, sous l’invocation de la Vierge et du seul de tous les saints auquel il lui parut permis de donner sa propre image, il lui a plu de peindre en un petit cadre (2 mètres à peu près) ce qu’il y avait eu de vénérable et de séduisant dans les êtres qu’il avait aimés. Il devait bien cette dernière illustration à ceux de qui il était né, à celles qui avaient partagé, embelli, charmé, ennobli, tout parfumé de grâce,