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expéditive. A plus forte raison, le coût du fret sur les chemins de fer américains suscite-t-il les plaintes des expéditionnaires, surtout de ceux de l’ouest, quand ils ont à envoyer leurs marchandises des bords du Mississipi ou du Missouri à New-York sur 2,400 kilomètres. Certaines denrées, telles que les grains, principale marchandise d’exportation de ces régions agricoles, ne peuvent plus prendre économiquement le rail, pour peu que la récolte soit abondante et que la baisse arrive. Il survient alors un fait curieux : on a plus d’intérêt à brûler le maïs comme combustible (après en avoir nourri les porcs) qu’à l’exporter à New-York. Depuis quelques années, les fermiers de l’ouest se sont plaints de cet état de choses ; ils ont, en des meetings, des conventions, dans l’Ohio, l’Illinois, l’Indiana, l’Iowa, le Minnesota, le Wisconsin, le Missouri, violemment attaqué les compagnies, leur ont reproché les taux élevés de leurs tarifs. Ils ont montré que les dépenses d’exploitation étaient exagérées, le capital d’actions excessif et la plupart du temps imaginaire ; il fallait cependant lui fournir une part d’intérêt. Plusieurs des plaignans ont menacé de ne plus exporter leurs grains par les voies ferrées, si les tarifs n’étaient pas immédiatement réduits, et de mettre leurs récoltes en silos ; quelques-uns l’ont fait.

C’est ainsi que s’est formée l’association des grangers, dont tous les échos, même en Europe, ont répété les récriminations violentes, et dont on a surfait un moment l’importance comme corps politique. Tout au plus peuvent-ils, dans les élections, disposer d’un million de voix, alors qu’il en faut 7 ou 8 millions pour assurer l’élection présidentielle. Néanmoins les états intéressés se sont émus, des enquêtes ont été ouvertes, instituées par le congrès fédéral. On y a battu en brèche les grandes compagnies au nom des intérêts populaires, et l’on y a proposé un moment de construire un chemin de fer direct de New-York à Chicago, dont la longueur totale serait réduite à 1,300 kilomètres, et à 2,000 en allant jusqu’au Missouri. Ce chemin de fer n’aurait eu pour objet que de transporter les marchandises au prix de 2 centimes 1/2 par tonne et par kilomètre, ce qui aurait réduit des deux tiers, c’est-à-dire mis à 3 francs au lieu de 9 le transport de 100 kilogrammes de blé de Chicago à New-York. Il aurait marché à la vitesse moyenne de 20 kilomètres par heure. En comptant le temps perdu par les arrêts, il aurait fait 400 kilomètres par jour. Il n’aurait fallu ainsi que trois jours pour aller de Chicago à New-York et cinq en venant du Missouri. La dépense d’un pareil chemin avec son matériel pouvait être estimée à 400 millions de francs, dont le quart pour le matériel ; mais ce brillant projet n’existe encore que sur le papier. L’agitation des grangers, un moment très tumultueuse en 1873, aura eu au moins un avantage, celui d’appeler l’attention publique sur les tarifs des voies