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Trueba, fort ancienne alors, touchait la dîme comme patronnesse et fondatrice de l’église paroissiale du lieu. Une branche de la famille était établie déjà depuis des siècles dans les Encartaciones de Viscaye : c’est de celle-là qu’est sorti notre auteur. Il est vrai qu’à suivre ainsi de trop près sa généalogie, on s’expose parfois à des découvertes assez singulières : Trueba devait en faire l’expérience. En feuilletant le livre inédit du vieux et noble chroniqueur Lope Garcia de Salazar, dont nous avons parlé, n’a-t-il pas trouvé, contée tout au long, la mésaventure d’un certain don Gonzalo de Trueba qui vivait, lui aussi, dans le courant du XIVe siècle ? Ce seigneur, est-il dit, sur les confins de la Viscaye et de la Vieille-Castille, en compagnie de quelques autres mal nommés chevaliers, et sous prétexte de lever des droits de péage, détroussait effrontément les voyageurs ; la justice provinciale se mit à sa poursuite, il fut pris et pendu sur l’heure aux branches d’un arbre qui se trouvait là. Voilà certes, on en conviendra, de sérieux titres de noblesse et tels qu’en pourrait être fier tout autre que le simple et pacifique auteur du Livre des Chansons !

Pendant que Trueba, prenant à cœur son nouveau titre, s’occupait à réveiller les curieux et sanglans souvenirs d’un passé lointain, qui lui eût dit que ces mauvais jours allaient revenir et que son infortuné pays, pour la seconde fois depuis trente années, serait, comme en plein XIVe siècle, au temps des Salazar, des Zurbaran et des Leguizamon, désolé par la guerre civile et la fureur des partis ? Jamais les provinces basques n’avaient été plus riches et plus heureuses ; tandis que depuis deux ans le reste de l’Espagne était en proie à l’anarchie, seul le nord se livrait en paix au commerce et à l’industrie. Les entrepôts de Bilbao ne suffisaient plus à contenir les marchandises que les navires étrangers à chaque voyage leur apportaient comme fret ; plusieurs chemins de fer reliaient les mines en exploitation au fleuve ou à la mer ; des usines et des fabriques s’élevaient en foule ; partout aux rives des cours d’eau, la fumée des hauts-fourneaux obscurcissait l’air ; dans les vallées où abondent les eaux thermales, sur les plages de la mer, à Saint-Sébastien, la population riche de Madrid venait passer la belle saison, et y laissait chaque été des sommes considérables. Comment les Basques n’ont-ils pas vu où se trouvaient à la fois leur devoir et leurs intérêts ? Par quel excès d’aveuglement ont-ils consenti à suivre les fanatiques et les ambitieux qui les lançaient dans une si triste aventure ?

Trueba pour sa part ne s’était jamais beaucoup occupé de politique : à peine trouve-t-on chez lui quelques allusions de ci de là sur la pénurie du trésor et la faiblesse de la noble señora qui était