Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saisi. Trueba demeurait alors à Bilbao avec sa famille ; en dépit de son caractère bien connu, lui qui, tout jeune encore, pour éviter de suivre les bandes du premier prétendant, avait quitté son pays natal, et dont les vieux parens avaient alors souffert mille persécutions, il fut accusé de s’entendre avec les carlistes ; ou le traita de néo-catholique, un de ces noms d’injure que se renvoie la haine des partis ; on le cita devant le gouverneur, on le dépouilla même de sa charge, acte arbitraire et illégal au premier chef, puisque les représentai du señorio seuls, réunis en assemblée générale, ont le droit de nommer et de destituer leurs fonctionnaires.

Bientôt il dut quitter Bilbao, qui allait être assiégé, laissant là, dans sa précipitation, ses papiers et ses livres, et pour la seconde fois chassé de son pays par la guerre civile, il prit caminando de espalda, à reculons, comme il dit lui-même, la route de l’exil. Il se retrouvait presque aussi pauvre qu’aux jours de sa jeunesse, plus connu, il est vrai, mais avec toute une famille à nourrir. Trueba se résigna courageusement à reprendre son ancienne vie de misère et de privations, croyant que, si sa plume pouvait servir à ramener la paix entre les frères ennemis, toute sa peine serait trop payée. En 1874 parut Mari-Santa, croquis d’un foyer et de ses alentours, qui eut un grand succès. Ce livre, avec deux autres du même genre : Ciel chargé de petits nuages, et le Paletot et la Veste, publiés quelque temps auparavant, appartiendraient, si l’on peut dire, à la nouvelle manière de l’auteur. Ce ne sont pas, à proprement parler, des Tomans ; Trueba n’est pas fait pour les œuvres de longue haleine ; il s’y est essayé pourtant dans sa jeunesse, mais il avoue lui-même qu’il y a médiocrement réussi. Dans ses derniers ouvrages, Trueba ne procède plus, selon sa coutume, par morceaux détachés ; il prend une idée générale qui fait le lien apparent et comme l’unité du volume, mais en réalité sert de prétexte à une foule de digressions. Ces digressions, on les devine sans peine. Ce sont encore des descriptions du pays basque avec l’éloge de ses habitans et de leur ancienne grandeur, mêlées de réflexions douloureuses sur les malheurs présens. À ce propos, il n’a pas manqué de critiques en Espagne pour reprocher à l’auteur de mettre trop peu de variété dans ses peintures, de revenir jusqu’à satiété sur les mêmes sujets. Quoi ! toujours des vallées vertes et des montagnes et des torrens ! toujours des maisonnettes blanches aperçues derrière un rideau de cerisiers et de noyers ! En vérité, cela est monotone. A quoi il répond assez finement : « Préféreriez-vous un bois d’orangers ? » En effet, la Viscaye ne ressemble point à l’Andalousie ; si d’autres mettent vanité à tirer leurs livres de leur seule imagination, lui ne parle que de ce qu’il connaît et de ce qui l’intéresse.

Bien qu’il ait beaucoup produit, car les volumes que nous avons