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des « frères allemands ? » Certes on aurait fait frémir le prince-régent en 1858, si on lui avait parlé alors d’une guerre contre un Habsbourg et d’un compagnon d’armes du nom de Garibaldi ; il a fini cependant par accepter la dure nécessité, et il a donné le signal d’une lutte fratricide, la douleur dans l’âme et les larmes aux yeux. N’est-il point puéril du reste de mesurer les destinées des nations par la vie plus ou moins longue de tel ou tel souverain ? Il peut venir en Allemagne un empereur qui n’ait ni l’affection ni le souvenir d’Alexandre II, il peut s’élever « un pharaon qui ne connut point Joseph, » pour parler avec les saintes Écritures, et puis il y a quelque chose de plus fort au monde que tsar et empereur : la nécessité de l’histoire, la fatalité de la race…

Race redoutable que celle de ces vainqueurs de Sadowa et de Sedan, et dont l’esprit envahisseur et conquérant dès l’origine a su survivre à toutes les transformations et s’accommoder de tous les déguisemens ! Humbles à la fois et présomptueux, sobres et prolifiques, expansifs et tenaces, pratiquant avec persistance leur ancien proverbe : ubi bene, ibi patria, et gardant néanmoins toujours un âpre attachement à la mère-patrie, les Allemands s’infiltrent en tout pays, pénètrent dans toutes les régions, ne dédaignent aucun coin de la terre habitable. Ils ont leurs familiers et consanguins sur tous les trônes et dans tous les comptoirs du monde ; ils peuplent les centres industriels de l’Europe et les solitudes du far-west ; ils décident les élections présidentielles dans les États-Unis, ils fournissent le contingent le plus fort du haut personnel administratif dans l’empire des tsars, et le souvenir est encore récent de cette statistique de l’armée russe, qui, sur 100 officiers supérieurs, en relevait 80 d’origine germanique[1]. Tel apparaissait déjà l’Allemand avant les grands coups de fortune de 1866 et de 1870, avant l’ère de fer et de sang, avant que M. de Bismarck ne lui eût révélé le secret de sa force, ne lui eût dit le mot magique : tu regere imperio populos ! Faut-il rappeler maintenant la haine que les Germains ont de tout temps portée au nom slave, l’extermination à laquelle ils l’ont jadis voué sur l’Elbe et l’Oder, et la pensée ne recule-t-elle pas épouvantée devant un nouveau choc de deux races, aujourd’hui plus que jamais probable ? Il est de mise, il est vrai, de

  1. C’est le Golos qui, il y a quelques années, dressait cette statistique curieuse, dont l’effet fut profond dans le temps. — Le nom de Kozlof eut un moment de célébrité en Russie : en l’entendant prononcer à la suite d’une longue énumération de noms purement tudesques, lors d’une présentation des officiers d’un grand corps d’armée, le tsarévitch s’était écrié : « Enfin ! Dieu merci. » Fr.-J. Celestin, Russland seit Aufhebung der Leibeigenschaft, Laibach 1875, p. 334.