les hommes sont beaux. Ce sceptique qui dans l’orgueil de son isolement social eût été de glace devant les coquetteries de quelque belle dame regarda tout ému une petite fille hâve et déguenillée qui courait obstinément à ses côtés, et la petite fille eut lieu de constater deux choses, d’abord qu’il avait la main généreuse, ensuite que les yeux noirs si hardis de ce magnifique monsieur étaient en réalité d’un gris très tendre et très doux. Personne ne devait jamais faire cette dernière découverte, sauf les enfans. Par une faiblesse qui n’est pas incompatible avec certain endurcissement, M. Oakhurst les aimait.
Il y avait un petit jardin devant une maisonnette blanche de la petite rue qu’il avait prise. Ce jardin était rempli de roses, d’héliotropes et de verveines ; il s’arrêta ravi, — non que ces fleurs fussent rares, mais il les avait jusque-là vues dans les bouquets surtout. Pensait-il en faire hommage à la piquante Elslinda, qui donnait des représentations au bénéfice tout spécial de M. Oakhurst, assurait-elle, ou à l’étourdissante miss Montmorency, avec qui le soir même il devait souper ? — Non, il les admirait pour elles-mêmes parce que, toutes fraîches de rosée, elles n’avaient été encore touchées par personne.
Cependant il continua son chemin, et, ayant gagné la Plaza, finit par s’asseoir sur un banc à l’ombre d’un arbre à coton. La matinée était radieuse, l’air si calme que le moindre bruissement dans le feuillage des sycomores ressemblait au profond soupir du réveil. À perte de vue, les sierras se détachaient sur un ciel si lointain qu’on n’aurait pu en discerner la couleur positive. C’était une teinte nacrée dont le contraste avec le paysage qu’elle éclairait était vraiment éblouissant. M. Oakhurst, surpris lui-même et presque honteux de ce qu’il éprouvait, ôta son chapeau, s’étendit à demi sur le banc, et resta ainsi le visage levé vers ce beau ciel dans une immobilité telle que les oiseaux finirent par sautiller autour de lui ; un grincement de roues sur le sable de l’allée ne tarda pas du reste à les mettre en fuite. Levant la tête, Oakhurst vit un homme qui s’avançait avec lenteur, traînant un petit chariot informe : à la bizarrerie du véhicule, à l’air capable et convaincu avec lequel on le dirigeait, il devina que le chariot devait être l’invention et l’œuvre de l’homme ; puis il s’aperçut que le visage même de cet homme ne lui était pas étranger. Avec la faculté qui lui était propre de ne jamais oublier quiconque lui avait tenu tête au jeu, il classa immédiatement ce gros garçon sous la rubrique : San-Francisco, salon de la Polka, — y a perdu son salaire de la semaine, soixante-dix dollars environ sur la rouge ; — n’est plus revenu.
Le regard indifférent qu’il fixa sur l’étranger ne trahit du reste