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paternel. Une maison en cendres, une famille en larmes, voilà un des premiers tableaux qui frappèrent l’imagination de l’enfant.

On mûrit vite en de telles épreuves. La vivacité, la turbulence naturelle du jeune Stockmar firent bientôt place à une gravité précoce. Après de bonnes études au gymnase de sa ville natale, il alla suivre des cours de médecine à Wurzbourg, à Erlangen, à Iéna. C’était de 1805 à 1810, en des années douloureuses pour l’Allemagne. Quand vint la guerre de Russie, il fut chargé à Cobourg de la direction d’une vaste ambulance qu’il vit se remplir bientôt de soldats de tous les’ pays. L’année suivante, il tint dignement sa place dans la médecine militaire. On raconte qu’en 1814, à l’hôpital de Worms, il s’attira un jour très noblement et très noblement repoussa les reproches passionnés du baron de Stein. L’hôpital était vide depuis plusieurs semaines lorsque, des blessés français s’y présentant, Stockmar les admit sans hésiter ; peu de temps après, des blessés allemands arrivent et trouvent la place prise. Le baron de Stein, administrateur-général des contrées du Rhin pendant la guerre, mande aussitôt le jeune docteur et lui adresse des objurgations véhémentes. Stockmar ne se trouble pas, il maintient avec force qu’il n’a fait que son devoir de médecin, et le terrible baron est obligé de baisser la voix. Est-ce une illusion de notre part ? Il semble que l’éditeur des Mémoires de Stockmar, en racontant ce fait après la guerre de 1870, ait tenu particulièrement à le mettre en lumière ; si cela est, il y a là un sentiment qui l’honore et dont nous le félicitons volontiers. Nous aussi, notre impartialité nous fait un devoir de signaler ce mouvement généreux chez Stockmar, puisque nous aurons si souvent par la suite l’occasion de montrer en lui l’adversaire acharné de la France. Le patriotisme en ce temps-là, même chez nos ennemis les plus violens, pouvait se concilier encore avec les inspirations de l’humanité.

En 1815, la guerre terminée, Stockmar revint à Cobourg ; il ne devait pas y rester longtemps. Le prince Léopold, qui plus d’une fois pendant la guerre avait eu l’occasion d’apprécier son zèle, son savoir et surtout la loyale fermeté de sa conduite, lui proposa de l’accompagner à Londres, où l’appelaient de hautes destinées. La jeune princesse Charlotte, petite-fille de George III, fille unique du prince régent qui devint plus tard George IV, l’héritière présomptive du trône d’Angleterre, venait d’être promise au prince Léopold de Cobourg. C’était celui-là même qui plus tard, après des événemens que nous allons raconter, devait occuper avec tant d’honneur le trône des Belges et fonder une maison royale où se perpétuent les traditions de sa rare sagesse. Le prince Léopold voulut s’attacher Stockmar comme médecin ; Stockmar accepta. Le 31 mars 1816, sur l’appel très pressant du prince, il arrivait à Londres.