Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/545

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rallia. C’est qu’en effet libéraux et conservateurs ont à lutter contre un nouvel adversaire, le parti radical ou parti des « amis des paysans. »

C’est une des particularités les plus singulières des pays Scandinaves que l’existence d’un parti paysan faisant échec aux habitans des villes. Sous ce rapport Norvège, Suède et Danemark sont dans une situation analogue. La lutte entre les progressistes et les conservateurs a pris la ferme d’une lutte entre les villes et les campagnes. Et tandis qu’en France, comme dans presque toute l’Europe, l’élément rural est l’élément conservateur, dans les trois royaumes ce sont les paysans qui sont les progressistes. La raison d’être de ce curieux phénomène apparaît clairement, si l’on pénètre dans l’organisation de la société Scandinave. Une distinction profonde a de tout temps existé entre la campagne et les villes. Agricole avant tout, la population s’est dès l’origine dispersée sur le sol pour le cultiver : les familles créèrent des exploitations rurales séparées et s’y fixèrent. De là ces grandes fermes ou gaards qui couvrent le pays et dont les habitans n’ont d’autre lien commun que l’église, souvent isolée elle-même au centre d’une vaste paroisse. On ne rencontre pas, comme en pays néo-latin, des villages et des hameaux composés de marchands et d’agriculteurs groupés au hasard. Les cultivateurs, qui d’ailleurs constituent l’immense majorité du peuple, habitent leur gaard, et s’adonnent exclusivement au travail de la terre. Les marchands, fabricans et trafiquans de toute nature forment la population des villes, dans lesquelles ils jouissent par privilège du droit d’exercer leur industrie ou leur commerce. C’est à eux que les paysans ont recours pour tout ce qu’ils ne peuvent se procurer d’eux-mêmes. Une ville, chez nous, est une simple agglomération d’habitans : nos statisticiens confèrent ce titre aux groupes de 2,000 âmes, ce qui est purement factice et arbitraire. Chez les Scandinaves, une ville porte ce nom parce que ses habitans ont reçu le droit de cité et les privilèges qui y sont attachés : c’est, selon le mot en usage dans les. idiomes du Nord, une place de commerce, Kjöbstad, Enfin autrefois la distinction avait son importance au point -de vue des réunions des états-généraux qui comprenaient quatre ordres : le tiers-état était scindé en deux parties, — d’un côté les paysans, de l’autre les bourgeois. En Danemark, les paysans, opprimés vers l’époque de la réforme par l’introduction des mœurs allemandes et réduits à un quasi-servage, perdirent de bonne heure leur importance politique : dès le début du XVIIe siècle, les rois négligeaient souvent de les convoquer quand ils assemblaient les états-généraux ; mais en Suède il n’en fut pas de même, et il y a moins de dix ans qu’on a pu voir pour la dernière fois les quatre ordres réunis à Stockholm. — Aujourd’hui ces