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vieilles distinctions tendent à s’affaiblir. Pourtant nous voyons encore les habitans des villes suédoises exemptés du service militaire de l’indelta, et les députés norvégiens élus séparément les uns par les villes, les autres par les électeurs ruraux. Dans le royaume danois, qui a subi davantage les influences, ou, comme dirait Grundtvig, la contagion des idées allemandes et françaises, le nivellement est plus avancé ; mais l’antagonisme subsiste dans les mœurs et dans la législation. Il est encore d’usage dans les lois danoises d’établir des dispositions particulières pour les villes et les campagnes, à moins que l’on n’ait inscrit en tête de la loi qu’elle s’applique au pays tout entier.

Se trouvant ainsi en opposition avec les habitans des villes, se comparant à eux et les jalousant, les paysans danois étaient tout à fait en situation pour écouter la voix des ambitieux, toujours disposés à fonder un parti quand il s’agit de le diriger. Ajoutez à cela qu’ils sont instruits, qu’ils lisent des journaux et sont au courant des nouvelles politiques ; l’ignorance, qui prépare si bien les hommes à subir les influences de clocher, est un facteur qu’on ne peut faire intervenir ici. — Avant 1848, le parti des paysans n’était qu’un parti social ; ils demandaient l’abolition des rares droits féodaux qui existaient encore, et de nouvelles facilités pour acquérir la propriété de la terre. Leurs désirs furent peu à peu réalisés ; il ne reste plus trace en Danemark des anciennes vexations de la féodalité ; les paysans s’enrichissent : de fermiers, ils deviennent propriétaires et forment urne gentry dont l’importance s’accroît sans cesse. La constitution de 1840, à l’élaboration de laquelle ils ne prêtèrent qu’un concours peu actif, leur donna des droits politiques. Ils se comptèrent, et, se trouvant les plus nombreux, ils songèrent à prendre eux-mêmes en main les rênes du gouvernement. Toutefois leurs représentans au parlement, qui s’intitulent « amis des paysans » et qui pour la plupart sont des transfuges de la bourgeoisie, ne firent point une brusque scission avec les libéraux ; ils se bornèrent à une opposition modérée ; c’est à la chute du ministère Frijs (1870), que la plupart d’entre eux avaient appuyé, qu’ils émirent leurs prétentions iet se posèrent nettement en parti radical. Outre les revendications ordinaires à toutes les démocraties., ils demandaient une diminution du nombre des fonctionnaires, des réductions des dépenses militaires et de celles qu’entraînent les théâtres, les musées, l’université, toutes choses dont les villes sont presque seules à profiter. Enfin par-dessus tout ils réclamaient l’établissement de la responsabilité ministérielle devant la seconde chambre. Ambitieux d’arriver au pouvoir, ils savaient bien que la couronne, dont les sympathies intimes sont pour les conservateurs, et qui a déjà fait un sacrifice en appelant les libéraux, ne distribuera jamais les