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Je me rappelle ici quelques lignes de Chateaubriand écrites vers cette époque. « George III, dit-il, avait perdu la raison et la vue. Chaque session, à l’ouverture du parlement, les ministres lisaient aux chambres silencieuses et attendries le bulletin de la santé du roi. Un jour, j’étais allé visiter Windsor ; j’obtins pour quelques shillings de l’obligeance d’un concierge qu’il me cachât de manière à voir le roi. Le monarque en cheveux blancs et aveugle parut, errant comme le roi Lear dans ses palais, et tâtonnant avec ses mains les murs des salles. Il s’assit devant un piano dont il connaissait la place, et joua quelques morceaux d’une sonate de Haendel. C’était une belle fin de la vieille Angleterre. » Cette ombre de la vieille Angleterre avait longtemps protégé la princesse de Galles. On sait que le roi était son oncle en même temps que son beau-père ; il le lui rappelait souvent en des lettres affectueuses. Une fois l’ombre évanouie, de mauvais jours se levèrent pour la pauvre insensée ; ce fut pourtant cette même ombre qui reparut aux heures décisives, elle reparut surtout, évoquée par la voix de Brougham, le jour où de si nombreux suffrages dans la chambre des lords refusèrent de condamner la reine accusée d’adultère.

Le 29 janvier 1820, le prince de Galles, régent d’Angleterre depuis 1810, était devenu roi sous le nom de George IV. Quelle allait être la situation de la princesse de Galles ? Suivant la loi et la raison, tant qu’un jugement régulier ne l’avait pas déclarée indigne, elle était reine d’Angleterre. Le conseil des ministres ne l’entendit pas de la sorte ; soit que, d’après sa conduite en Italie, on la considérât comme ayant abandonné volontairement ses droits, soit qu’avec le rapport de Milan on se crût en mesure d’étouffer ses réclamations, si jamais elle osait en élever, le ministère se hâta de trancher la question. Le nom de la reine, selon l’usage, devait être inscrit à côté du nom du roi dans les prières liturgiques ; le premier acte du gouvernement de George IV fut de lui retirer cet honneur. Un ordre du conseil, en date du 11 février, statua qu’à l’avenir on prierait pour le roi et la famille royale, sans faire aucune mention particulière de la reine.

Cependant le ministère n’était pas sans inquiétude : le nom de la reine Caroline effacé du livre de l’église, n’était-ce pas un commencement de dégradation ? Il était prudent de s’assurer qu’elle ne protesterait pas. Précisément elle venait d’exercer une de ses prérogatives royales en nommant M. Brougham son procureur-général (attorney general) et M. Denman son procureur-général adjoint (solicitor general). Le chef de la justice, lord Ellenborough, celui-là même qui avait dirigé contre la princesse de Galles la délicate enquête de 1806, avait été obligé de dire aux deux illustres avocats en pleine cour de justice suivant la formule consacrée : « Sa