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a changé les accessoires ; chaque époque en renouvelle les personnages, y met ses modes et ses habitudes. Qu’est-ce que cela ? À peine un accent particulier dans des silhouettes. Bourgeois d’autrefois, touristes d’aujourd’hui, ce n’est jamais qu’une petite tache pittoresque, mouvante et changeante, des points éphémères qui se succéderont de siècle en siècle, entre le grand ciel, la grande mer, l’immense dune et la grève cendrée. — Cependant, comme pour mieux attester la permanence des choses en ce grand décor, le même flot, qui fut étudié tant de fois, battait avec régularité la plage insensiblement inclinée vers lui. Il se déployait, se roulait et mourait, y continuant ce bruit intermittent et monotone qui n’a pas varié d’une note depuis que le monde est monde. La mer était vide. Un orage se formait au large et cerclait l’horizon de nuées tendues, grises et fixes. Ce soir, on y verra des éclairs, et demain, s’ils vivaient encore, Guillaume Van de Velde, Ruysdael, qui ne craignait pas le vent, et Backhuysen, qui n’a bien exprimé que le vent, viendraient étudier les dunes à leur moment lugubre et la Mer du Nord dans sa colère.

Je suis rentré par une autre route, en longeant le nouveau canal, jusqu’à Princesse-Gracht. Il y avait eu des courses dans le Maliebaan. La foule stationnait encore à l’abri des arbres, toute massée, contre la sombre tenture des feuillages, comme si l’intact gazon de l’hippodrome fût un tapis de qualité rare qu’on ne dût pas fouler. Un peu moins de cohue, quelques landaus noirs sous la futaie, et je pourrais vous décrire, pour l’avoir eu tout à l’heure devant les yeux, un de ces jolis tableaux de Paul Porter, si patiemment brodés comme à l’aiguille, si ingénument baignés de demi-teintes glauques, tels qu’il en faisait dans ses jours de profond labeur.


II

L’école hollandaise commence avec les premières années du XVIIe siècle. En abusant tant soit peu des dates, on pourrait fixer le jour de sa naissance. Elle est la dernière des grandes écoles, peut-être la plus originale, certainement la plus locale. À la même heure, dans les mêmes circonstances, on voit se produire un double fait très concordant : un état nouveau, un art nouveau. L’origine de l’art hollandais, son caractère, son but, ses moyens, son à-propos, sa croissance rapide, sa physionomie sans précédens et notamment la manière soudaine dont il est né au lendemain d’un armistice, avec la nation elle-même et comme la vive et naturelle efflorescence d’un peuple heureux de vivre et pressé de se connaître, — tout cela a été dit maintes fois, pertinemment et très bien. Aussi