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année 1609, qui devait décider du sort de la Hollande, Rubens entrait en scène.

En cet état, tout dépendait d’un accident politique ou militaire. Battue et soumise, dans tous les sens la Hollande était sujette. Pourquoi deux arts distincts chez un même peuple et sous un seul régime ? Pourquoi une école à Amsterdam, et quel eût été son rôle dans un pays voué dorénavant aux inspirations italo-flamandes ? Que serait-il advenu de ces vocations spontanées, si libres, si provinciales, si peu faites pour un art d’état ? En admettant que Rembrandt se fût obstiné dans un genre assez difficile à pratiquer hors de son milieu propre, vous le représentez-vous appartenant à l’école d’Anvers, qui n’eût pas cessé de régner depuis le Brabant jusqu’à la Frise, élève de Rubens, peignant pour les cathédrales, décorant des palais et pensionné par les archiducs ?

Pour que le peuple hollandais vint au monde, pour que l’art hollandais vît le jour avec lui, il fallait donc, et c’est pourquoi l’histoire de l’un et de l’autre est si concluante, il fallait qu’une révolution se fît, qu’elle fût profonde, qu’elle fût heureuse. Il fallait en outre, et c’était là le titre considérable de la Hollande aux faveurs de la fortune, que cette révolution eût pour elle le droit, la raison, la nécessité, que le peuple méritât tout ce qu’il voulait obtenir, qu’il fût résolu, convaincu, laborieux, patient, héroïque et sage, sans turbulence inutile, qu’en tous points il se montrât digne de s’appartenir.

On dirait que la Providence avait les yeux sur ce petit peuple, qu’elle examina ses griefs, pesa ses titres, s’assura de ses forces, jugea que le tout était selon ses desseins, et qu’au jour venu elle fit en sa faveur un miracle unique. La guerre, au lieu de l’appauvrir, l’enrichit ; la lutte, au lieu de l’énerver, le fortifie, l’exalte et le trempe. Ce qu’il a fait contre tant d’obstacles physiques, la mer, la terre inondée, le climat, il le fait contre l’étranger. Il réussit : ce qui devait l’anéantir le sert. Il n’a plus d’inquiétude que sur un point, la certitude de vivre ; il signe, à trente ans de distance, deux traités qui l’affranchissent, puis le consolident. Il ne lui reste plus, pour affirmer son existence propre et lui donner le lustre des civilisations prospères, qu’à produire instantanément un art qui le consacre, l’honore et qui le représente intimement, et tel se trouve être le résultat de la trêve de douze ans. Ce résultat est si prompt, si formellement issu de l’incident politique auquel il correspond, que le droit d’avoir une école de peinture nationale et libre et la certitude de l’avoir au lendemain de la paix semblent faire partie des stipulations du traité de 1609.

A l’instant même, une accalmie se fait sentir. Une bouffée de température plus propice a passé sur les âmes, ranimé le sol, trouvé