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des germes prêts à éclore et les fait éclore. Comme il arrive dans les printemps du nord, de végétation si brusque, d’expansion si active, après les mortelles intempéries d’un long hiver, c’est vraiment un spectacle inattendu de voir en si peu de temps, trente ans au plus, en un si petit espace, sur ce sol ingrat, désert, dans la tristesse des lieux, dans les rigueurs des choses, paraître une pareille poussée de peintres et de grands peintres. Il en naît partout et à la fois : à Amsterdam, à Dordrecht, à Leyde, à Delft, à Utrecht, à Rotterdam, à Enckuysen, à Harlem, parfois même en dehors des frontières et comme d’une semence tombée hors du champ. Deux seulement ont à peine devancé l’heure : Van-Goyen, né en 1596, et Wynants en 1600 ; Cuyp est de 1605. L’année 1608, une des plus fécondes, voit naître Terburg, Brouwer et Rembrandt à quelques mois près ; Adrian Van-Ostade, les deux Both et Ferdinand Bol sont de 1610 ; Van der Helst, Gérard Dou, de 1613 ; Metzu en 1615 ; Aart Van der Neer de 1613 à 1619 ; Wouwerman de 1620 ; Weenix, Everdingen et Pynaker de 1621 ; Berghem de 1624 ; Paul Potter illustra l’année 1625, Jean Steen l’année 1626 ; l’année 1630 devient à tout jamais mémorable pour avoir produit le plus grand peintre de paysage du monde avec Claude Lorrain : Jacques Ruysdael. La sève est-elle épuisée ? Pas encore. La naissance de Pierre de Hooch est incertaine, mais elle peut être placée entre 1630 et 1635. Hobbema est contemporain de Ruysdael ; Van der Heyden est de 1637 ; enfin Adrian Van de Velde, le dernier de tous parmi les grands, naît en 1639. L’année même où poussait ce rejeton tardif, Rembrandt avait trente ans, et en prenant pour date centrale l’année qui vit paraître la Leçon d’anatomie, 1632, vous constaterez que vingt-trois ans après la reconnaissance officielle des Provinces-Unies, et, à part quelques retardataires, l’école hollandaise atteignait son premier épanouissement.

A prendre l’histoire à ce moment, on sait à quoi s’en tenir sur les visées, le caractère et la destinée future de l’école ; mais, avant que Van-Goyen et Wynants n’eussent ouvert la voie, avant que Terburg, Metzu, Cuyp, Ostade et Rembrandt d’abord n’eussent montré ce qu’ils entendaient faire, on pouvait avec quelque raison se demander ce que ces peintres allaient peindre en un pareil moment, en un pareil pays.

La révolution qui venait de rendre le peuple hollandais si libre, si riche et si prompt à tout entreprendre, le dépouillait de ce qui faisait partout ailleurs l’élément vital des grandes écoles. Elle changeait les croyances, supprimait les besoins, rétrécissait les habitudes, dénudait les murailles, abolissait la représentation des fables antiques aussi bien que de l’Évangile, coupait court aux