Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/624

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

établissaient en colonie, s’y rencontraient avec Claude Lorrain, s’oubliaient à Rome, oubliaient le pays, y mouraient comme Karel avant d’avoir repassé les Alpes.

Les autres ne sortaient guère de leur atelier que pour fureter autour des tavernes, rôder autour des lieux galans, en étudier les mœurs quand ils n’y entraient pas pour leur compte, ce qui était rare. La guerre n’empêchait pas qu’on ne vécût quelque part en paix ; c’était dans ce coin paisible, pour ainsi dire indifférent, qu’ils transportaient leurs chevalets, abritaient leur travail, et poursuivaient, avec une placidité qui peut surprendre, leurs méditations, leurs études, leur charmante et riante industrie. Et la vie de tous les jours n’en continuant pas moins, c’étaient les habitudes domestiques, privées, champêtres, urbaines, qu’ils s’appliquaient à peindre en dépit de tout, à travers tout, à l’exclusion de tout ce qui faisait alors l’émoi, l’angoisse, le patriotique effort et la grandeur de leur pays. Pas un trouble, pas une inquiétude dans ce monde extraordinairement abrité, qu’on prendrait pour l’âge d’or de la Hollande, si l’histoire ne nous avertissait pas du contraire. Les bois sont tranquilles, les routes sûres ; les bateaux vont et viennent au cours des canaux ; les fêtes champêtres n’ont pas cessé. On fume au seuil des cabarets, on danse au dedans, on chasse, on pêche et l’on se promène. De petites fumées silencieuses sortent du toit des métairies, où rien ne sent le danger. Les enfans vont à l’école, et, dans l’intérieur des habitations, c’est l’ordre, la paix, l’imperturbable sécurité des jours bénis. Les saisons se renouvellent, on patine sur les eaux où l’on naviguait, il y a du feu dans les âtres, les portes sont closes, les rideaux tirés : les duretés viennent du climat et non pas des hommes ; c’est toujours le cours régulier des choses que rien ne dérange, et le fond permanent des petits faits journaliers avec lesquels on a tant de plaisir à composer de bons tableaux.

Quand un peintre habile aux scènes équestres nous montre par hasard une toile où des chevaux se chargent, où l’on se bat à coups de pistolet, de tromblon, d’épée, où l’on se piétine, où l’on s’égorge, où l’on s’extermine assez vivement, cela se passe en des lieux qui déplacent la guerre, dépaysent le danger ; ces tueries sentent la fantaisie anecdotique, et l’on ne voit pas que le peintre en soit lui-même grandement ému. Ce sont les italiens, Berghem, Wouwerman, Lingelbach, les pittoresques peu véridiques, qui s’amusent par hasard à peindre ces choses-là. Où ont-ils vu des mêlées ? En-deçà ou au-delà des monts ? Il y a du Salvator Rosa, moins le style, dans ces simulacres d’escarmouches ou de grandes batailles, dont on ne connaît ni la cause, ni le moment, ni le théâtre, ni bien nettement non plus les partis aux prises. Le titre même de leurs tableaux indique assez la part qui doit être faite à