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un certain temps avant que les dents marginales, d’abord entrecroisées par leurs pointes, se mettent en contact par leurs bases élargies. Dans l’intervalle donc, il reste entre ses dents rapprochées en grille des vides étroits par lesquels de petits insectes peuvent s’échapper. Darwin, en constatant ce fait, y voit un avantage pour la plante en ce sens qu’elle réserverait sa faculté de digestion pour des proies d’un assez gros volume, laissant fuir le menu gibier qui tiendrait sans profit la place du gros.

Jusqu’ici, nous n’avons vu chez la dionée que des organes de préhension. La digestion proprement dite exige autre chose, et ce quelque chose se présente sous la forme de glandes à la fois sécrétoires et absorbantes. Ces glandes recouvrent la face supérieure de la feuille. À peine visibles à l’état de repos, elles n’entrent en action comme organes sécrétoires que sous la stimulation directe d’une matière digestible. Cette mise en activité des glandes s’étend du reste de proche en proche dans un rayon limité tout autour aussi bien qu’au contact du corps stimulant. Plus tard l’absorption se fait par ces mêmes glandes, en tant qu’on peut en juger du moins par les modifications survenues dans le contenu de leurs cellules sous l’influence de la digestion ou de liquides riches en azote. La nature acide du suc digestif rappelle celle du drosera. L’action de ce liquide s’exerce aussi principalement sur les matières albuminoïdes à l’exclusion des substances qui ne renferment pas d’azote.

Ici viendrait, si le sujet n’était trop technique, l’étude des causes et du mécanisme des mouvemens des organes irritables des droséracées. C’est à dessein qu’on omettra cette difficile discussion. Un fait pourtant veut être au moins rappelé : c’est la découverte si piquante du docteur Burdon Sanderson sur l’existence chez la dionée de courans électriques rappelant à beaucoup d’égards les courans du même genre dans les nerfs et les muscles des animaux. Dans la feuille de la dionée, il existe en effet un courant normal qui s’accuse par la déviation à gauche d’un galvanomètre dans le circuit duquel on a interposé la feuille avec ses valves étalées. Qu’on la fasse alors contracter en touchant un des filamens irritables, à l’instant l’aiguille du galvanomètre se porte à droite, puis vient à son point de repos. La contraction vitale de la feuille a donc troublé, puis anéanti le courant, de même que la contraction d’un muscle en anéantit momentanément le courant électro-moteur en le transformant en force musculaire.

Si curieux que soit le rapprochement entre une plante irritable et des animaux supérieurs, on aurait tort d’en conclure à l’existence formelle d’un tissu nerveux caractérisé chez un végétal quelconque. Que l’équivalent physiologique des nerfs se retrouve peut-être dans quelque élément constitutif du tissu ou du contenu cellulaire de