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chez le drosera, les tentacules peuvent se mouvoir lentement sur une proie déjà prise par la glu ; chez la dionée, si le mouvement n’était subit, la proie, libre dans ses allures, aurait le temps de se sauver. Encore un hommage indirect rendu à la théorie des causes finales par un de ses adversaires les plus déclarés !

La proie ordinaire du drosera consiste généralement en petits diptères à corps mou. C’est par exception qu’on trouve pris d’autres insectes, par exemple de petits papillons ou même par accident une grosse libellule. La dionée au contraire chasse à de plus gros gibier et particulièrement aux coléoptères, dont la force musculaire n’est domptée que par un puissant effort. De là ce fait bien connu que les valves sont maintenues l’une contre l’autre par une force de ressort très prononcée, tellement que, séparées par violence, puis relâchées, elles se referment avec une sorte de clappement. Il arrive néanmoins que des coléoptères très robustes, protégés sans doute par la cuirasse de leurs tégumens, parviennent à se sauver de l’étreinte de la feuille en rongeant rapidement la paroi de leur prison. C’est ainsi que le docteur Canby a vu s’échapper un malheureux charançon, qui, replacé sans pitié dans une nouvelle feuille, y a trouvé cette fois la mort et la tombe.

La manière dont se comporte ce piège animé varie suivant la nature de l’objet qu’il emprisonne. S’agit-il d’un insecte ou d’une substance digestible, l’occlusion est prolongée, neuf jours par exemple sur une mouche, autant sur du blanc d’œuf durci, un peu moins sur la caséine et du fromage (ce dernier produit détermine souvent sur les feuilles une nécrose superficielle et locale), un peu moins sur de la viande ; mais ces variations de durée peuvent tenir à des causes très diverses. Le seul fait certain, c’est que sur des substances non digestibles, fragmens de bois, liège, papier en boulettes, la feuille se rouvre en moins de vingt-quatre heures et se montre alors toute prête à recommencer son jeu. Au contraire, après un vrai repas, elle se rouvre tardivement, lentement, comme fatiguée, et demande un certain repos avant de rentrer en action. On dirait que la digestion l’a rassasiée, tandis qu’un repas manqué lui laisse tout son appétit.

Au premier temps du rapprochement des valves, ces surfaces, un peu concaves au repos, commencent à se toucher par leurs bords. Il existe donc un vide marqué entre les deux lobes récemment fermés. Ce vide persiste, si l’objet pris au piège n’est pas digestible ; au contraire, s’il s’agit d’un insecte tant soit peu gros, la convexité des valves se déprime, et la pression graduelle s’exerce sur le corps sous-jacent, à tel point que ce corps écrasé ou serré fait enfler en bosse la portion de la feuille qui le recouvre. Pour si rapide que soit du reste le rapprochement des valves, il s’écoule