Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/700

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’Autriche-Hongrie est un corps à deux têtes, et ces deux têtes ont souvent peine à s’entendre ; que serait-ce, s’il y en avait trois ? Que serait-ce encore, si elle venait à échanger sa bonne tête, celle qui raisonne en allemand, contre une autre tête à demi barbare, dont les idées seraient celles qu’on peut avoir à Trébigne, à Mostar ou à Seraïevo ?

L’agrandissement de l’Autriche à l’est ne peut être désiré que par les slavophiles et aussi par les féodaux, qui savent que le jour où on entrerait dans l’Herzégovine avec l’intention bien arrêtée d’y rester, la dernière heure aurait sonné pour une constitution qu’ils détestent. Au contraire, tous les amis sincères de cette constitution verraient ces périlleuses conquêtes avec le plus vif déplaisir. Ils sentent qu’elles ne pourraient s’accomplir sans justifier le mot de l’homme d’état prussien qui affirmait naguère « que l’Autriche n’est qu’une expression géographique. » Ce même homme d’état des bords de la Sprée mettait tous les politiques de Vienne au défi d’offrir aux peuples de l’empire « autre chose que des alimens qui irriteront leur appétit sans le satisfaire, » et il prédisait « que la propagande des nationalités conduirait l’Autriche à sa perte. » Croirons-nous que le comte Andrassy ne s’appartient plus, qu’il accepte aveuglément les conseils qui lui viennent d’un pays où l’on ne croit pas à l’avenir même prochain de l’Autriche et où ce mot terrible a été prononcé : « La montagne restera debout jusqu’au jour où une éruption sociale la fera sauter ? » Croirons-nous qu’il s’est laissé circonvenir par quelque redoutable tentateur, qu’on a su lui inspirer l’ambition de faire grand et lui persuader que les peuples qui n’ont pas les mains prenantes sont des peuples finis ? Croirons-nous enfin avec l’auteur de la brochure que « cette politique austro-hongroise, à la fois indécise et agissante, ressemble à s’y méprendre à une politique allemande quant au but, et qu’il n’était pas besoin du récent article de la Correspondance provinciale pour rappeler brutalement à l’Autriche qu’elle n’est plus libre de ses mouvemens ? » Tant que subsistera l’accord des cabinets de Vienne et de Saint-Pétersbourg, il ne sera pas défendu de voir l’avenir sous un jour moins sombre. Au milieu d’une Europe avertie et réveillée, la politique d’aventures trouve moins de facilités pour mener à bonne fin ses combinaisons occultes et ses desseins inavouables. — Le monde se gâte, disait un habile homme ; il devient soupçonneux et ne veut plus qu’on le trompe. — La défiance sera l’ange gardien, le génie tutélaire de l’Europe, et où serait-il permis de se défier, si on ne se défie pas à Vienne ?

La France, elle aussi, a profité des leçons que lui ont données les événemens, et dans ce qui regarde son ménage intérieur elle a appris à se défier « des humeurs inquiètes et brouillonnes. » On demande aujourd’hui des comptes et des explications à la politique d’aventures, on est curieux de savoir d’où elle vient, où elle va ; on la prie d’ôter