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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/778

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exécutions lymphatiques, nerveuses, robustes, débiles, fougueuses ou ordonnées, impertinentes ou timides, seulement sages dont on dit qu’elles sont ennuyeuses, exclusivement sensibles, dont on dit qu’elles n’ont pas de fonds. Bref, autant d’individus, autant de styles et de formules, quant au dessin, quant à la couleur et quant à l’expression de tout le reste par l’action de la main.

On discute avec quelque vivacité pour savoir lequel a raison de ces exécutans si divers. En toute conscience, personne n’a précisément tort, mais les faits témoignent que personne n’a pleinement raison. La vérité qui nous mettrait tous d’accord reste à démontrer ; elle consisterait à établir : qu’il y a dans la peinture un métier qui s’apprend et par conséquent peut et doit être enseigné, une méthode élémentaire qui également peut et doit être transmise, — que ce métier et cette méthode sont aussi nécessaires en peinture que l’art de bien dire et de bien écrire pour ceux qui se servent de la parole ou de la plume, — qu’il n’y a nul inconvénient à ce que ces élémens nous soient communs, — que prétendre se distinguer par l’habit quand on ne se distingue en rien par la personne est une pauvre et vaine façon de prouver qu’on est quelqu’un. Jadis c’était tout le contraire, et la preuve, c’est la parfaite unité des écoles, où le même air de famille appartenait à des personnalités si distinctes et si hautes. Eh bien ! cet air de famille leur venait d’une éducation simple, uniforme, bien entendue et, comme on le voit, bien salutaire. Or cette éducation, dont nous n’avons pas conservé une seule trace, quelle était-elle ? Voilà ce que je voudrais qu’on enseignât et ce que je n’ai jamais entendu dire ni dans une chaire, ni dans un livre, ni dans les cours d’esthétique, ni dans les leçons orales. Ce serait un enseignement professionnel de plus à une époque où presque tous nous sont donnés, excepté celui-là.

Ne nous fatiguons pas d’étudier ensemble ces beaux modèles. Regardez ces chairs, ces têtes, ces mains, ces gorges nues : rendez-vous compte de leur souplesse, de leur plénitude, de leur coloris si vrai, presque sans couleur, de leur tissu compact et si mince, si dense et cependant si peu chargé. Examinez de même les ajustemens et les accessoires, les satins, les fourrures, les draps, les velours, les soies, les feutres, les plumes, les épées, les ors, les broderies, les tapis, les fonds, les lits à tentures, les parquets si parfaitement unis, si parfaitement solides. Voyez comme tout est pareil chez Terburg et chez Pierre de Hooch, et cependant comme tout diffère, comme la main agit de même, comme le coloris a les mêmes élémens, et cependant comme ici le sujet est enveloppé, fuyant, voilé, profond, comme la demi-teinte transforme, assombrit, éloigne toutes les parties de cette toile admirable, comme elle donne aux choses leur mystère, leur esprit, un sens encore plus saisissable,