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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/777

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Terburg, passez à ce personnage maigre, un peu gourmé, d’un autre monde et déjà d’une autre époque, qui se présente avec quelque cérémonie, debout et saluant comme un homme de qualité cette fine personne aux bras fluets, aux mains nerveuses, qui le reçoit chez elle et n’y voit pas de mal. Puis arrêtez-vous devant l’Intérieur de Pierre de Hooch ; entrez dans ce tableau profond, étouffé, si bien clos, où le jour est si tamisé, où il y a du feu, du silence, un aimable bien-être, un joli mystère, et regardez près de la femme aux yeux luisans, aux lèvres rouges, aux dents friandes, ce grand garçon à mine ingénue, qui fait penser à Molière, un peu benêt, un fils émancipé de M. Diafoirus, tout droit sur ses jambes en fuseaux, tout gauche en ses grands habits raides, tout singulier avec sa rapière, si maladroit dans ses faux aplombs, si bien à ce qu’il fait, si merveilleusement créé qu’on ne l’oublie plus. Là encore c’est la même science cachée, le même dessin anonyme, le même et incompréhensible mélange de nature et d’art. Pas l’ombre de parti-pris dans cette expression des choses si ingénument sincère, que la formule en devient insaisissable ; pas de chic, ce qui veut dire, en termes d’atelier, nulles mauvaises habitudes, nulle ignorance affectant des airs capables et pas de manie. Faites un essai, si vous savez tenir un crayon ; allez copier le trait de ces trois figures, essayez de les mettre en place, proposez-vous cet exercice difficile de faire de cette peinture indéchiffrable un extrait qui en soit le dessin. Essayez de même avec un dessinateur moderne, et peut-être, sans autre avertissement, découvrirez-vous vous-même, en réussissant avec le moderne, en échouant avec les anciens, qu’il y a tout un abîme d’art entre eux.

Le même étonnement saisit quand on étudie les autres parties de cet art exemplaire. La couleur, le clair-obscur, le modelé des surfaces pleines, le jeu de l’air ambiant, enfin la facture, c’est-à-dire les opérations de la main, tout est perfection et mystère. A prendre l’exécution par sa superficie, trouvez-vous qu’elle ressemble à ce qu’on a fait depuis ? et jugez-vous que la manière de peindre aujourd’hui soit en progrès ou en retard sur celle-là ? De nos jours, est-ce à moi de le dire ? de deux choses l’une, ou l’on peint avec soin, et l’on ne peint pas toujours très bien, ou l’on y met plus de malice, et l’on ne peint guère. C’est lourd et sommaire, spirituel et négligé, sensible et fort esquivé, ou bien c’est consciencieux, expliqué partout, rendu selon les lois de l’imitation, et personne, pas même ceux qui la pratiquent, n’oseraient déclarer que cette peinture, pour être plus scrupuleuse, en est plus parfaite. Chacun se fait un métier selon son goût, son degré d’ignorance ou d’éducation, la lourdeur ou la subtilité de sa nature, selon sa complexion morale et physique, selon son sang, selon ses nerfs. Nous avons des