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correspondant qui s’est produit en France il y a quarante-cinq ans à peu près. On se demande quelle fut l’influence de la Hollande en cette nouveauté, si elle agit sur nous, comment, dans quelle mesure et jusqu’à quel moment, ce qu’elle pouvait nous apprendre, enfin par quels motifs sans cesser de nous plaire elle a cessé de nous instruire. Cette question, fort intéressante, n’a jamais, que je sache, été pertinemment étudiée, et ce n’est pas moi qui tenterai de le faire. Elle touche à des choses trop voisines de nous, à des contemporains, à des vivans. On comprend que je n’y serais pas à l’aise. Je voudrais seulement en poser les termes élémentaires.

Il est clair que pendant deux siècles nous n’avons eu en France qu’un seul paysagiste, Claude Lorrain. Très Français, quoique très Romain, très poète, mais avec ce clair bon sens qui longtemps a fait douter que nous fussions une race de poètes, assez bonhomme au fond quoique solennel, ce très grand peintre est, avec plus de naturel et moins de portée, le pendant dans son genre de Poussin dans la peinture d’histoire. Sa peinture est un art qui représente à merveille la valeur de notre esprit, les aptitudes de notre œil, qui nous honore et qui devait un jour ou l’autre passer dans les arts classiques. On le consulte, on l’admire, on ne s’en sert pas, surtout on ne s’en tient pas là, surtout on n’y revient plus, pas plus qu’on ne revient à l’art d’Esther et de Bérénice. Est-ce tant pis ? est-ce tant mieux ? C’est accompli, donc c’était inévitable. Le XVIIIe siècle ne s’est guère occupé du paysage, sinon pour y mettre des galanteries, des mascarades, des fêtes soi-disant champêtres ou des mythologies amusantes dans des trumeaux. Toute l’école de David l’a visiblement dédaigné, et ni Valenciennes, ni Bertin, ni leurs continuateurs en notre époque, n’étaient d’humeur également à le faire aimer. En toute sincérité, ils adoraient Virgile et aussi la nature. En toute vérité, on peut dire qu’ils n’avaient le sens délicat et vrai ni de l’un ni de l’autre. C’étaient des latinistes qui scandaient noblement des hexamètres, des peintres qui voyaient les choses en amphithéâtre, arrondissaient assez pompeusement un arbre et détaillaient son feuille. Au fond, ils goûtaient peut-être encore mieux Delille que Virgile, faisaient quelques bonnes études et peignaient mal. Avec beaucoup plus d’esprit qu’eux, de la fantaisie et des dons réels, le vieux Vernet que j’allais oublier n’est pas non plus ce que j’appellerais un paysagiste très pénétrant, et je le classerai avant Hubert Robert, mais avec lui parmi les bons décorateurs de musées et de vestibules royaux. Je ne parle pas de Demarne, moitié Français, moitié Flamand, et que la Belgique et la France n’ont aucune envie de se disputer bien chaudement, et je crois pouvoir omettre Lantara, sans grand dommage pour la peinture française.