Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce qu’il y a de positif, c’est qu’en vingt ou vingt-cinq ans, de 1830 à 1855, l’école française avait beaucoup tenté, énormément produit et fort avancé les choses, puisque, partie de Ruysdael avec des moulins à eau, des vannes, des buissons, c’est-à-dire un sentiment très hollandais, dans des formules toutes hollandaises, elle en était arrivée d’une part à créer un genre exclusivement français avec Corot, d’autre part à préparer l’avenir d’un art plus universel encore avec Rousseau. S’est-elle arrêtée là ? Pas tout à fait.. L’amour du chez soi n’a jamais été, même en Hollande, qu’un sentiment d’exception et qu’une habitude un peu singulière. A toutes les époques, il s’est trouvé des gens à qui les pieds brûlaient de s’en aller ailleurs, La tradition des voyages en Italie est peut-être la seule qui soit commune à toutes les écoles, flamande, hollandaise, anglaise, française, allemande, espagnole. Depuis les Roth, Berghem, Claude et Poussin, jusqu’aux peintres de nos jours, il n’est pas de paysagistes qui n’aient eu l’envie de voir les Apennins et la campagne de Rome, et jamais il n’y eut d’école locale assez forte pour empêcher le paysage italien d’y glisser cette fleur étrangère qui n’a jamais donné que des produits hybrides. Depuis trente ans, on est allé beaucoup plus loin. Ce n’est plus le voyage en Italie, c’est le voyage lointain qui a tenté les peintres et changé bien des choses à la peinture. Le motif de ces excursions aventureuses, c’est d’abord un besoin de défrichemens propre à toutes les populations accumulées en excès sur un même point, la curiosité de découvrir et comme une obligation de se déplacer pour inventer. C’est aussi le contre-coup des études scientifiques dont le progrès ne s’obtient que par des courses autour du globe, autour des climats, autour des races. Il en est résulté le genre que vous savez : une peinture cosmopolite, plutôt nouvelle qu’originale, peu française et qui ne représentera dans notre histoire, si l’histoire s’en occupait, qu’un moment de curiosité, d’incertitude, de malaise, et qui n’est à vrai dire qu’un changement d’air essayé par des gens assez mal portans,

Cependant, sans sortir de France, on continue de chercher au paysage une forme plus décisive. Il y aurait un curieux travail à faire sur cette élaboration latente, lente et confuse d’un nouveau mode qui n’est point trouvé, qui même est bien loin d’être trouvé, et je m’étonne que la critique n’ait pas étudié le fait de plus près au moment même où nous le voyons s’accomplir sous nos yeux. Un certain déclassement s’opère aujourd’hui parmi les peintres. Il y a moins de catégories, je dirais volontiers de castes, qu’il n’y en avait jadis. L’histoire confine au genre, qui lui-même confine au paysage et même à la nature morte. Beaucoup de frontières ont disparu. Que de rapprochemens le pittoresque n’a-t-il pas