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nouveau régime et avaient exercé une surveillance jalouse sur les menées des vieux tories. À une époque où le capital était rare, l’instruction peu répandue, où les mouvemens de l’opinion publique ne pouvaient pas se produire comme de nos jours, ces nobles de campagne étaient les maîtres du monde politique par leurs parens ou les gens qu’ils employaient. Ils n’avaient pas cependant le nombre avec eux, et lord Shelburne prétend que, si la nation avait été appelée à voter par tête, les Stuarts auraient été restaurés sans difficulté ; mais la classe intelligente et active, qui dominait dans le parlement et qui formait l’opinion publique, était dévouée au parti whig. Le credo whig avait pour lui toutes les faveurs, et quiconque voulait réussir dans la politique se déclarait whig comme tous les sectaires se réclament du nom de chrétien. Cependant les oligarchies sont le gouvernement le plus précaire ; dès qu’elles sont menacées, elles sont vaincues ; elles ne peuvent pas supporter un échec grave, et la possession du pouvoir avait développé au sein du parti whig ces jalousies, ces animosités, ce dédain de l’ennemi, qui sont le présage d’une ruine prochaine. De plus, à l’avènement de George III, le parti jacobite changea brusquement de position, et leur enleva un moyen facile d’émouvoir l’opinion et de la rallier à eux en évoquant le fantôme du roi de l’autre côté de l’eau. Désabusés sur le caractère du prétendant, forcés de s’avouer à eux-mêmes ses folies et son incapacité, lassés de leur vie de complots ou de bouderie sur leurs terres, les jacobites profitèrent du nouveau règne pour rentrer à Londres et reprendre leur ancienne position à la cour. Le roi les accueillit avec une faveur marquée. Elevé par sa mère dans tous les préjugés et la fierté des petites cours d’Allemagne, il se sentit doucement caressé dans ses prétentions au droit divin par les hommages de ces partisans des Stuarts, et il se promit de se servir de leur concours pour mettre fin à la suprématie de la junte whig.

Les whigs reconnurent bien que leur empire était menacé, que le terrain était miné sous leurs pas ; ils ne surent pas comment faire face au danger. La noblesse de campagne n’était plus l’arbitre des destinées de la nation ; d’autres intérêts avaient grandi. L’industrie, le commerce, avaient enrichi d’autres classes dont l’influence et l’opinion ne pouvaient plus être négligées ; le centre de gravité du gouvernement tendait à se déplacer et la politique puritaine n’était plus de saison. Au moment où les tories accouraient en foule à la cour et abjuraient publiquement leurs sentimens jacobites, les whigs ne pouvaient plus se poser en défenseurs du trône et du protestantisme : ce rôle était fini ; il aurait fallu trouver d’autres moyens pour retenir le pouvoir. C’était l’heure de revendiquer hautement l’extension et le développement des principes de la révolution de