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lesquelles Ivan rêvait peut-être une marine russe qui suivrait ses aînées. À ce jeune prince qui ne respirait que guerre et conquêtes, il parlait des nouvelles sciences militaires. Il eut sans doute plusieurs entretiens avec le tsar : autrement comment expliquer la confiance qu’il sut lui inspirer et les longs regrets que laissa son départ ? Jenkinson ne perdait pas de vue les intérêts de la compagnie. Il fit augmenter ses privilèges et demanda pour lui-même l’autorisation de suivre le Volga pour rechercher la route des Indes. Ivan IV ne savait rien refuser à son ami Antone Jankine. Celui-ci descendit le grand fleuve de l’est, sillonné aujourd’hui de centaines de vaisseaux, peuplé sur ses rives de vivantes cités, mais qui coulait alors parmi les déserts et les faméliques campemens des Nogaïs. Après Astrakhan, Jenkinson atteignit la mer, et, le premier des Européens, déploya le pavillon de sa nation sur les flots de la Caspienne. Il prit terre sur le rivage du Turkestan, chargea ses marchandises sur des chameaux, et, renouvelant les témérités de Marco Polo, s’engagea hardiment dans les déserts infestés de brigands, ignorant les langues du pays, constamment menacé par les nomades, sans autre escorte que des barbares à peine plus sûrs que les bandits, avec deux Anglais seulement pour tout réconfort. Il atteignit Boukhara et eut la chance d’en revenir avant le sac de cette ville par le khan de Samarcande. De retour à Moscou, il présenta au tsar des ambassadeurs que lui envoyaient les princes de l’Asie, un mouton de Tartarie et vingt-cinq prisonniers russes rachetés de l’esclavage. En somme, les résultats de son voyage étaient négatifs : la route du Turkestan était décidément trop peu sûre. Il fallait essayer celle de Perse.

En 1566, Jenkinson fit une seconde fois le voyage d’Angleterre à Moscou, non plus comme agent de la compagnie, mais comme envoyé de la couronne et porteur d’une lettre d’Elisabeth. Dans les instructions qui lui sont remises par son gouvernement, on voit percer les premières jalousies de l’Angleterre contre ses rivaux. Par la voie de terre, les Italiens essayaient de se glisser à Moscou. Par mer, les vaisseaux hollandais et flamands venaient disputer aux Anglais le marché d’Arkhangel. Jenkinson avait ordre de demander l’expulsion d’un certain Rafaëlo Barberini, qui osait faire concurrence à la compagnie de Moscou, et qui, pour comble d’audace, s’était présenté au tsar avec une recommandation surprise à la reine d’Angleterre. A l’égard des Hollandais, Elisabeth priait le tsar, en considération des grands dangers et des pertes d’hommes et de biens qu’avaient affrontés les Anglais pour découvrir le passage du nord-est, de vouloir bien leur assurer le privilège exclusif de ce commerce.