proposition d’alliance pas un mot ; sur sa demande d’asile, on feignait d’avoir mal entendu ; à tout ce qui intéressait sa puissance, sa sécurité, sa vie même, on faisait la sourde oreille. On demandait tout, on ne voulait rien donner ; on exploitait la Russie en la méprisant, Dans cette crise suprême qu’il traversait, dans une situation tellement tendue que chaque minute pouvait être décisive, sa bonne sœur Elisabeth ne cherchait qu’à gagner du temps, à créer des malentendus, envoyant Randolph, qui affectait de ne rien savoir, retenant Jenkinson, qui d’un mot eût tout expliqué. Pendant qu’il avait sur les bras les Livoniens, la Pologne, les Tatars, les Suédois, ses émigrés du dehors, ses conspirateurs du dedans, on ne voulait l’entretenir que de réclamations de marchands, de rivalités de comptoirs entre les Anglais et les Hollandais. On n’en voulait qu’à ses pelleteries, à son chanvre et à son goudron. Bien plus, on lui demandait de fermer son port de Narva, de ne voir l’Europe que par les yeux des Anglais de Moscou, de renoncer à la Baltique, Ivan paraît d’abord avoir voulu faire sentir tout son dépit au malencontreux ambassadeur. Il laissa Randolph se morfondre près de quatre mois à Arckhangel sous divers prétextes ; mais le vrai motif, il sait bien le faire entendre à la reine : c’est qu’il, est furieux de ne pas revoir Jenkinson. « D’Antone Jenkine, je n’avais aucune nouvelle ; un de tes envoyés est venu à Narva, d’autres sont venus en divers lieux, se disant tes envoyés. Je leur ai demandé à tous si Antone était de retour auprès de toi, et quand on le renverrait ici ; mais ces gens, pris d’orgueil, n’ont pas daigné répondre. Ils ne s’occupaient que de leur gain, méprisant nos hautes affaires d’empire, et pourtant en tout pays c’est l’usage que les affaires des princes passent avant le gain des particuliers. » Quand Randolph fut enfin autorisé à venir à Moscou, défense aux Anglais d’aller au-devant de lui, de lui faire une réception ; on lui fixa une heure indue (huit heures du matin) pour son audience, on le fit attendre deux grandes heures dans l’antichambre. Après l’audience, on ne l’invita pas à dîner. Cet ambassadeur si maltraité devait être pourtant un diplomate de quelque mérite, au bien le tsar avait malgré tout grand besoin des Anglais, car après quelques entrevues très secrètes avec le tsar, où il se rendait déguisé en Russe, il obtint de lui tout ce qu’il voulut. La compagnie de Moscou vit étendre ses privilèges ; celle de Narva fut supprimée. Seulement, comme Ivan n’entendait plus être dupe des habiletés britanniques ni laisser prendre aux affaires des mougiks de commerce le pas sur les affaires d’état, il envoya avec Randolph un ambassadeur moscovite, André Sovine, avec mission d’obliger les Anglais à s’expliquer. Et il fallait qu’on s’expliquât ! car Ivan se trouvait alors au plus fort de la crise intérieure.
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