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son messager par la voie de terre, à travers Les dominations ennemies. Surpris avec une lettre du tsar, la mort de l’envoyé était certaine. Bathory n’eût pas épargné un traître à la cause chrétienne, qui allait chercher des armes pour Les Barbaresques du Nord. Un homme se présenta pour remplir cette dangereuse mission ; ce fut Horsey, de la compagnie de Moscou. La lettre à Elisabeth fut glissée dans un petit tube que l’on cacha dans la crinière du cheval. Horsey passa heureusement, s’embarqua à Hambourg, s’acquitta de son message, et au printemps suivant ramena en Russie treize bâtimens chargés d’armes et d’artillerie.

Ivan vieillissait. La mort de son fils que, dans un accès d’aveugle fureur, il tua d’un coup de bâton, semblait l’avoir abattu. Pourtant cette âme énergique que tant de passions n’avaient pu briser finit par se ressaisir. En 1582, Ivan songe à répudier sa septième femme, Maria Nagoï, à se remarier. Ce sauvage précurseur de la réforme européenne en Russie voulait cette fois renoncer aux femmes d’Orient, aux Tcherkesses, aux Russes, ignorantes et incultes, épouser une femme d’Occident. Il avait pensé à une cousine de sa bonne amie d’Angleterre, à Marie Hastings, comtesse de Kent. L’idée d’un tel mariage avec une musulmane, une hérétique, faisait horreur à la Russie. L’Anglaise fût venue deux siècles trop tôt en cette Moscovie attardée ; les temps de Catherine Ire la Livonienne, de Catherine II l’Allemande, étaient encore éloignés. En ceci comme en beaucoup de choses, le Terrible anticipait désespérément sur son époque. Cette vitalité d’Ivan, cette activité sans trêve, cette énergie sans cesse renaissante qui, du plus profond du deuil, de la défaite, de la décrépitude, le relançaient sans cesse vers de nouveaux projets, avaient quelque chose d’effrayant et de démoniaque. Justement on venait de brûler à Moscou comme sorcier un de ses anciens confidens allemands, le médecin Bomélius. D’autres étrangers suspects l’entouraient ; c’étaient ces intrus maudits qui sans doute surexcitaient ce prince demi-mort, faisaient sans cesse revivre le vieux diable, lui soufflaient cette idée sacrilège d’un huitième mariage, et avec une hérétique. La nouvelle fantaisie d’Ivan n’était guère mieux goûtée en Angleterre. Elle effraya la reine autant que sa cousine. Sans doute la tyrannie d’Ivan n’était pas faite pour faire reculer une Anglaise de ce temps, qui avait vu celle d’Henri VIII et ses sept mariages. Les places publiques de Londres, où avaient flambé tour à tour les bûchers des catholiques et ceux des protestans, n’avaient rien à reprocher à la Place-Rouge du Kremlin. Ce qui rebutait plutôt, c’étaient les lacunes étranges de cette civilisation, cette absence de culture et de confort, ce mélange de luxe et de grossièreté, cette splendeur crasseuse de l’Asie chrétienne ; c’était ce despote chauve et usé, qui avait maltraité, brutalement sa belle-fille