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proposition. Une bonne alliance avec elle eût affermi notre autorité… Elle n’a pas fait sagement en nous repoussant. » Un autre jour, il disait tout le contraire à ce même Silvestre : « Ne t’imagine pas que nous n’ayons pas le pouvoir de faire ce que nous promettons. Il est vrai que nous avons remis l’empire à un autre, mais nous pouvons le reprendre à notre gré, quand il nous plaira. Le tsar n’a pas reçu la confirmation du couronnement solennel et de l’élection populaire. Nos sept couronnes, notre sceptre, nos ornemens tsariens et nos trésors sont restés entre nos mains. » Puis il accusait les Anglais eux-mêmes d’être d’intelligence avec ses traîtres et d’avoir fait échouer la négociation qui lui eût assuré un asile au jour du danger : accusation grave qui dut faire trembler Silvestre pour l’existence de la compagnie. L’envoyé pouvait croire que tout cela n’était qu’une mise en scène pour lui en imposer et pour forcer la main à la reine. On doit regretter que Silvestre, préoccupé uniquement comme ses pareils d’intérêts mercantiles, n’ait pas essayé une explication de ce qu’il avait sous les yeux. Jamais on ne saura ce que pensaient de tout cela les courtisans aux faces blêmes, muets de terreur, courbés sous cette sinistre fantaisie du maître, comme des sénateurs romains devant le turbot de Domitien ou le cheval-consul de Néron.

Elisabeth vit sans doute qu’avec un souverain si têtu et si fantasque toutes les habiletés étaient perdues. Dans l’intérêt du commerce anglais elle consentit à tout. Silvestre repartit d’Angleterre pour la Russie avec une lettre telle que le désirait le tsar. Elle ne devait point parvenir à son adresse. Silvestre venait de débarquer à Kholmogory ; un coup de foudre tomba sur la maison où il était descendu, le tua avec son chien et l’un de ses serviteurs, réduisit en cendres ses papiers et la lettre que le tsar attendait avec tant d’impatience. Le superstitieux Ivan ne put manquer d’y voir un fâcheux présage. Dieu même s’opposait à ce qu’il pût trouver un asile en Angleterre. Il s’inclina et dit : « Que la volonté de Dieu soit faite ! »


V

Vers 1580, la fortune de à guerre tourne décidément contre Ivan IV. Il a échoué dans la tentative impossible de conquérir, avec des armées à demi-asiatiques, la Livonie, défendue par les troupes régulières de la Suède, de la Pologne et des Allemagnes. Bien plus, les vieilles provinces russes sont entamées : Etienne Bathory a pris Polotsk et mis le siège devant Pskof. Eteins sa détresse, Ivan s’adresse encore à la reine d’Angleterre, au commerce britannique. Comme il était pressé par le temps, il lui fallut expédier