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toile de 20 mètres carrés ! Friedland, c’est l’empereur donnant des ordres an général Oudinot. Wagram, c’est Napoléon entouré de cavaliers et lorgnant de l’éminence où il est placé une vaste plaine où l’on aperçoit, perdues dans la fumée, quelques lignes de troupes. Dans sa Bataille de Somo-Sierra, Vernet n’a su montrer aussi qu’une halte de chevau-légers polonais près d’un canon démonté, quand il y avait à représenter l’incroyable charge de ces cavaliers sur les hauteurs occupées par les batteries ennemies qui est peut-être le fait le plus curieux de l’histoire de la cavalerie. Donc, au point de vue de la compréhension et de l’expression du sujet, il est hors de doute qu’il faut préférer à ces tableaux la Prise de la Smalah, encore que ces groupes isolés ayant tous la même importance tiennent du panorama, et surtout l’Assaut de Constantine et la Bataille de Hanau. Dans la Prise de Constantine, Horace Vernet a peint le moment décisif où le colonel Combes, commandant une des colonnes d’assaut, escalade la brèche, suivi d’une foule de soldats du 2e léger, la baïonnette en avant. Les Kabyles abandonnent la position et se retirent en tiraillant. Dans la Bataille de Hanau, il a peint le moment critique où la cavalerie austro-bavaroise vient sabrer sur leurs pièces les artilleurs de la garde du général Drouot. A droite, une compagnie de grenadiers s’avance pour dégager 1ns canonniers qui se défendent à coups d’écouvillons, de leviers et de crosses de carabine. A gauche, les cuirassiers et les dragons vont charger la cavalerie ennemie. C’est une véritable bataille, très animée, très précise, très pittoresque ; mais Horace Vernet, doué d’une facilité miraculeuse, travaillait vite, ne se préoccupant jamais que de l’effet et segmentant souvent de l’à-peu-près. Aussi ses œuvres ne donnent-elles pas une impression profonde.

Encore que Delacroix n’ait pas été un peintre de batailles dans l’acception exclusive du mot, on ne saurait ne pas le citer au nombre des maîtres de ce genre. Sa Bataille de Taillebourg compte parmi les plus beaux tableaux de la galerie de Versailles. Ces cavaliers bardés de fer, aux heaumes empanachés, qui courent frappant de la lance et taillant de l’épée, sont d’un mouvement et d’une furia indicibles. L’âme de la bataille, le caractère typique de la guerre, n’existent pas moins là que dans les mêlées de Salvator ; mais les chevaliers et les gens d’armes de Delacroix ne combattent pas pour le plaisir de combattre, il est bien clair qu’il s’agit pour eux d’enlever le pont de Taillebourg. Dans plusieurs tableaux de chevalet, Eugène Delacroix a peint des chocs de cavaliers arabes où l’on retrouve le même mouvement furieux, la même composition raisonnée. Ary Scheffer a été appelé aussi à décorer la galerie des batailles. Sa Bataille de Tolbiac est bien comprise et bien exprimée, quoiqu’il l’ait conçue