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l’exil lui écrivait « d’abandonner les sujets futiles et les tableaux de circonstance pour faire enfin de beaux tableaux d’histoire, » Gros ne fit-il pas aussi des décorations allégoriques, et ce fameux tableau d’Hercule et Diomède dont les violentes critiques poussèrent au suicide le peintre immortel des Pestiférés.

D’après la rapide revue des peintres et des peintures de batailles que le 1807 de Meissonier et l’exposition des œuvres de Pils nous ont entraîné à faire, il semble que tous les tableaux de ce genre peuvent se diviser en quatre principaux groupes : les batailles typiques et généralisatrices, celles de Michel-Ange, du Vinci, de Salvator Rosa ; les batailles stratégiques, celles de Carle Vernet d’Eugène Lami, de Durand Brager et de l’aquarelliste Jung ; les batailles officielles, celles de Van der Meulen, de Parrocel, de Gérard ; enfin les batailles épisodiques, celles de Charlet et de la jeune école contemporaine. Pour réaliser l’idéal qu’on se fait d’un tableau de batailles, ne faudrait-il pas que ce tableau participât à la fois de ces quatre styles, qu’il fût épique et mouvementé comme la Bataille d’Anghiari, précis comme la Bataille de Marengo, exact comme le Passage du Rhin, vrai comme le Combat sur une voie ferrée ? Raphaël, Gros, Delacroix ont plus ou moins atteint à cet idéal. En résumé, un tableau doit représenter la bataille dans son caractère général de lutte, de tuerie et d’horreur, mais il doit aussi représenter une bataille déterminée. Pour cela, le peintre a à garder, malgré la confusion des mêlées corps à corps, un certain ordre qui fasse comprendre la marche et le but de l’action ; il a à choisir dans les différentes péripéties de la bataille qu’il veut peindre celle qui est restée légendaire ou qui a décidé de la victoire : l’attaque désespérée de la colonne anglaise par la maison du roi à Fontenoi, la charge des cuirassiers à la Moskowa, la dernière défense de la garde à Waterloo, la charge de la cavalerie anglaise à Balaklava. Enfin, si le chef d’armée a été dans l’action même, comme Alexandre au Granique, César à Gergovie, François Ier à Marignan, Henri IV à Ivry, Bonaparte à Arcole, Napoléon à Arcis-sur-Aube, le peintre doit le mettre dans le tableau. Sinon, il doit lui préférer le véritable héros des batailles : le soldat.


HENRY HOUSSAYE.