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destinées de l’Allemagne auraient été changées, si l’Autriche, au lieu de s’éprendre d’une ambition cosmopolite, de combattre pour des possessions espagnoles, italiennes, néerlandaises, hongroises, d’égarer sa politique et d’épuiser ses forces sur ce trop vaste échiquier, s’était appliquée à fonder solidement sa domination sur la Bohême et sur la Silésie ! L’élément germanique y était assez fort déjà pour qu’elle pût consommer dans la haute vallée de l’Elbe et de l’Oder l’œuvre d’assimilation que les margraves de Brandebourg ont menée à si bonne fin sur le cours inférieur de ces deux fleuves, slaves jadis, allemands aujourd’hui. Une fois les Habsbourg fortement établis dans toute la région sud-est de l’Allemagne, aucune puissance n’eût été capable d’arrêter leurs progrès à l’ouest ; la Prusse ne les eût pas empêchés, comme elle fit en 1779, d’annexer la Bavière, car la Prusse ne fût pas devenue grande puissance : la Silésie, avant-garde de l’Autriche dans la Basse-Allemagne, attachée au flanc du Brandebourg, poussant sa pointe septentrionale entre Berlin et Posen, rendait impossible tout développement ultérieur de la monarchie prussienne vers l’Orient.

C’est pour toutes ces raisons que, l’année même de son avènement, à la nouvelle que la mort de Charles VI ouvrait la succession d’Autriche, Frédéric, sautant à bas du lit où le retenait la fièvre, rassembla ses troupes et, laissant ses ministres arranger des mensonges diplomatiques, conquit en quelques mois une province de 600 milles carrés, habitée par 1,200,000 habitans : il augmentait ainsi d’un tiers l’étendue de ses états et le nombre de ses sujets. Aussitôt commença dans toute la province un merveilleux travail. Le premier soin de Frédéric fut de se fortifier dans sa conquête ; il avait trouvé les forteresses dans un état complet de délabrement : en peu de temps, il les mit en état de défense. La province reçut un gouverneur particulier directement placé sous les ordres du roi. Une sage administration financière éleva les impôts sans provoquer de réclamation, parce que la charge en fut mieux répartie. D’ailleurs l’argent, au lieu d’être chaque année transporté au château impérial de Vienne, restait dans le pays pour être employé à sa défense et à des améliorations de toute espèce : sur 3,300,000 thaler, Frédéric n’en réclama que 17,000 pour lui. L’affranchissement intellectuel de la Silésie commença au lendemain de la conquête. On n’y pouvait guère lire auparavant, tant était longue la liste des livres interdits par la censure de Vienne, qui se montrait plus sévère même que la congrégation romaine de l’Index : des ballots de livres envahirent la province, et les Silésiens n’en purent croire leurs yeux en lisant des brochures où étaient critiqués, souvent avec hardiesse, les actes mêmes de leur nouveau souverain. Les haines religieuses