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l’aide de rigoles, sur les étangs, sur les champs situés trop loin des fermes pour pouvoir être commodément labourés. » Il indiquait l’étendue minimum que devrait avoir le territoire de tout village, pour l’établissement duquel il serait sollicité un subside, le plan des maisons et les matériaux qu’il y fallait employer. Il déterminait la part contributive de l’état dans les frais d’établissement, ordonnait que tous les colons fussent des personnes libres, que « l’on pensât à l’enseignement scolaire, qui est si nécessaire, » et que l’on réservât une maison pour un « bon maître d’école ; » enfin qu’on se mît à l’œuvre sans retard, afin que l’année suivante « un nombre appréciable de villages nouveaux » fussent déjà debout. L’effet de cet édit fut extraordinaire. Les opposans, traqués par le gouvernement de la province, se soumirent. Le roi n’épargna ni son argent ni ses faveurs. Plusieurs fois par an, on lui envoyait le compte des créations nouvelles ; il approuvait, félicitait, mais toujours il stimulait à faire davantage. A la fin de son règne, il put constater qu’il avait enrichi de plus de soixante mille sujets sa province de Silésie.

Non moindre fut sa sollicitude pour la Prusse occidentale. On sait que ce pays fut, avec l’évêché d’Ermeland et le district de la Nelze, la part de Frédéric dans le premier partage de la Pologne. Prêt depuis longtemps à profiter de ce démembrement prémédité, il avait envahi sans bruit ces territoires, et le rapt s’était accompli sans qu’une goutte de sang fût versée. Trente ans avaient passé sur la tête de Frédéric depuis qu’il avait pris possession de la Silésie ; pourtant c’est la même ardeur, la même intrépidité au travail. Il visite, comme il dit cyniquement, « son petit morceau d’anarchie. » Il n’est que trop vrai que l’état en était navrant. « Le pays est désert et vide, dit le rapport officiel sur le district de la Netze ; le bétail est mauvais et dégénéré, les instrumens de labour sont grossiers, on ne connaît même pas la charrue de fer ; les champs sont épuisés, couverts d’ivraie et de pierres, les prairies tournent au marécage, les bois sont dévastés par les tailles. Les forteresses, la plupart des villages et des villes sont en ruines. Les habitations ne semblent pas faites pour recevoir des hommes : ce sont de misérables huttes de boue et de paille, construites avec le goût le plus primitif et les plus simples moyens. La guerre sans fin, les incendies, les pestes, la détestable administration, ont dévasté ce pays et l’ont démoralisé. La classe des paysans est perdue ; il n’y a point de bourgeoisie ! Les marécages et les bois sauvages prennent la place où jadis (au temps de l’ordre teutonique), si l’on en juge d’après les cimetières allemands, vivait une population nombreuse. » Les sombres couleurs de ce tableau ne sont pas chargées ; il est certain qu’un quart au moins du territoire avait été laissé sans culture et que les villes