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étaient peuplées comme des villages : Bromberg, qui a aujourd’hui près de 30,000 habitans, en comptait alors 800 à peine !

Pour relever ce pays misérable, Frédéric employa tous les moyens à la fois, matériels et moraux : abolition du servage, proclamation de l’égalité devant la loi, de la liberté de conscience, fondation d’écoles, en même temps secours pécuniaires aux villes, prêts sans intérêts aux nobles campagnards indigens, introduction de races de chevaux venus de Dessau et de boucs importés d’Espagne, distribution gratuite de semences. Le pays fut divisé en petits districts, dont chacun avait son préfet, son tribunal, sa poste, son service de santé ; pas une ville où quelque quartier ne s’élevât du milieu des ruines ; partout on labourait, on piochait, on bâtissait. Au bout d’un an, Frédéric écrit à Voltaire : « J’ai aboli l’esclavage, j’ai réformé des lois barbares et j’en ai introduit de raisonnables ; j’ai ouvert un canal qui met en communication la Vistule, la Netze, la Warta, l’Oder, l’Elbe ; j’ai reconstruit des villes qui étaient ruinées depuis la peste de 1704, desséché vingt milles carrés de marécages, introduit dans ce pays la police, dont le nom n’y était pas même connu. » Le canal dont il est ici question fut construit avec une rapidité prodigieuse ; en seize mois il fut achevé, grâce au travail de nuit et de jour de six mille ouvriers et à une dépense de 740,000 thaler. Dans l’été de 1773, Frédéric eut la joie de voir des bateaux chargés sur l’Oder descendre la Vistule. En même temps, il faisait d’énormes dépenses pour protéger le pays contre le fléau périodique des inondations. Et déjà les colons arrivaient de toutes parts. La chambre de la province avait reçu les instructions les plus précises. « Quod bene notandum, lit-on en marge d’un ordre de cabinet, tout ceci doit être observé à la lettre, ou bien gare à la chambre ! Il faut que mes ordres soient exécutés ponctuellement et tout de suite ! » On obéit. Il serait fastidieux de relever ville par ville le résultat de ces efforts. Pour ne parler que de Culm, la malheureuse ville, quand elle devint prussienne, avait conservé ses vieilles murailles et ses vieilles églises ; mais d’un grand nombre de maisons il ne restait que les caves, béantes sur la rue, et habitées par des misérables. Des quarante maisons de la place du marché, vingt-huit n’avaient plus ni fenêtres ni toits. Frédéric donna l’argent à poignées : 2,635 thaler pour le pavage, 36,884 pour quinze établissemens industriels, 5,106 pour réparation de maisons, 3,839 pour les bâtimens publics, 80,343 pour construction de maisons bourgeoises, 11,749 pour une église et pour une école ; 73,223 pour l’établissement de colons, cordonniers, tailleurs, jardiniers, maçons, charpentiers, drapiers, marchands, etc. Quand tout ce monde fut en place et tous ces bâtimens debout, Frédéric put se vanter d’avoir bâti une nouvelle ville. Quand le même travail eut