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pu tenir debout. Pendant toute la journée du 11, l’ouragan fut formidable ; à onze heures du soir, un bloc de neige glacée enfonça la fenêtre de l’hôtellerie, et cela par un froid de 19 degrés au-dessous de zéro. En un instant, le général et M. Baylac, qui s’étaient couchés tout habillés, étaient sur pied, et sacrifiant, le premier un matelas de sa couchette, l’autre sa paillasse et une couverture, ils parvinrent, après une heure de travail pénible, à masquer l’ouverture par où pénétraient la neige et le vent. Pendant cette opération, le thermomètre intérieur était tombé de 6 degrés au-dessus de zéro à 18 degrés au-dessous. « Privés de notre unique fenêtre, dit M. de Nansouty, nous fûmes obligés d’allumer les bougies toute la journée. Je me voyais, dans un avenir très prochain, sans combustible ni lumière. Cette situation me fit comprendre une fois de plus la nécessité de quitter la station dès que l’état de l’atmosphère le permettrait. »

Le 12, à six heures du matin, la porte de l’hôtellerie fut à son tour enfoncée. On mit trois heures à la rétablir en luttant contre les terribles rafales du sud-ouest qui s’engouffraient dans le rez-de-chaussée. Désormais ce rez-de-chaussée n’était plus habitable. Le 13, l’ouragan parut mollir, et, dans la soirée, il cessa tout à coup, comme il avait commencé le 11, par une secousse sèche qui fit vibrer et changer de place la vaisselle en fer battu sur les étagères. Toute la nuit, le baromètre resta immobile, et le matin il avait quelque tendance à monter, ce qui faisait supposer que le cyclone s’éloignait. M. de Nansouty donna aussitôt l’ordre de se préparer au départ.

La petite troupe quitta la station le 14, vers neuf heures du matin. Dans la nuit, le thermomètre était descendu à — 24° ; au moment du départ, il marquait encore 14 degrés au-dessous de glace. La neige tombait verticalement ; pas un souffle de vent. Chacun portait une boussole. Brau ouvrait la marche, frayant la route avec sa poitrine, ses mains et ses genoux ; la raideur des pentes lui laissait la possibilité de pousser la neige. Baylac, derrière lui, élargissait le passage ; puis venait le général, qui avait encore souvent de la neige au-dessus des hanches, et sa chienne Mira fermait la marche. Vers onze heures, voyant qu’on n’avançait qu’avec une lenteur extrême, on résolut de changer de route et de descendre au fond de la vallée d’Arises en laissant à gauche un précipice bien connu du guide. Malgré ses efforts pour ne pas se rapprocher de ce mauvais endroit, poussé insensiblement par la pression des neiges sur sa droite, trompé par un rocher qu’il prit pour un autre, aveuglé par la tourmente, Brau arrive sur le bord de l’escarpement. On se figure la stupeur de ces trois hommes en voyant le vide au bout de