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leurs intérêts. Cela veut dire en d’autres termes que c’est une question dont tout le monde sent la gravité, et, malgré un certain penchant à faire aujourd’hui assez bon marché de ce qu’ils appelaient autrefois l’intégrité nécessaire de la Turquie, les Anglais ne sont pas les derniers à se préoccuper des dangers d’une crise qui mettrait en lutte, selon le mot de lord Derby, les populations musulmanes et les populations chrétiennes, qui pourrait avoir son contre-coup jusque dans l’empire indien. Nous ne parlons pas des dangers auxquels l’Europe entière serait immédiatement exposée.

Pour le moment du moins, ces perspectives semblent écartées par l’empressement qu’a mis la Porte à souscrire au plan de réformes préparé par le comte Andrassy, appuyé par les autres gouvernemens européens à Constantinople. C’est un premier gage de succès pour une politique d’apaisement, et rien n’indique après tout que même pour trouver maintenant des garanties efficaces de ces réformes turques, personne aujourd’hui en Europe soit disposé à se jeter dans des aventures, à braver des conflits. M. de Bismarck lui-même en vérité donne le signal de la paix universelle. Il s’est souvenu que l’an dernier il avait fait rendre un décret qui interdisait l’exportation des chevaux hors de l’Allemagne, et qui avait pu passer pour un signe belliqueux : il vient de provoquer l’abrogation de ce décret inutile ou onéreux, et ce n’est rien encore ; il a prononcé ces jours derniers en plein Reichstag, à propos de la réforme du code pénal, un discours qui est une véritable protestation contre toute idée de guerre. De tous les discours que le chancelier allemand a pu prononcer, celui qu’il a fait entendre l’autre jour au Reichstag est assurément le plus original, le plus humoristique et le plus habilement calculé, il est question de tout dans cette harangue, particulièrement des « journaux officieux » que le chancelier a fort maltraités, dont il avoue s’être servi souvent, mais dont il est décidé à ne plus se servir, parce que les journaux l’ont exposé à endosser la responsabilité de trop d’inepties. M. de Bismarck a surtout saisi cette occasion d’affirmer avec une sorte de surabondance de verve les intentions absolument pacifiques de l’Allemagne, de son vieil empereur et de son grand-chancelier. L’Allemagne n’a « rien à gagner, rien à conquérir, » elle est amplement satisfaite et n’aspire qu’à vivre tranquille.

Bien mieux, tout ce qu’on a dit au dernier printemps des périls de nouveaux conflits, de la guerre imminente, tout cela n’était « que de la fantaisie et du radotage ! » Il n’y a jamais rien eu de vrai. Ce sont les journaux qui ont imaginé ces bruits, qui les ont propagés par les correspondances, par les télégrammes, dans un intérêt de spéculation. M. de Bismarck est d’avis que, s’il était allé ainsi au parlement proposer la guerre sans raison, sans aucun motif, le parlement n’aurait eu qu’à lui envoyer un médecin pour examiner son état mental. Il est stupéfait qu’on ait pu lui prêter cette « colossale bêtise » de dire : « Il est possible que nous